par François Favre
(publié dans la revue 3ème millénaire)
Depuis un siècle et demi environ, des chercheurs venus de tous les horizons s’intéressent au phénomène de la Kundalini et à son rôle dans l’évolution humaine. Son étude, tant sur le plan ésotérique que scientifique, a suscité nombre d’opinions contradictoires et le plus souvent divergentes : Mme Blavatsky, qui a introduit le concept en Occident vers 1875, la nomme « puissance électrique » et la décrit comme la véritable source des états de conscience supérieurs ; Jung voit dans cette force primordiale et universelle, associée traditionnellement à la sexualité, le fondement d’une « énergétique de l’âme » conduisant à la réalisation du Soi, au moyen de l’individuation ; S. Grof, influencé par les enseignements de Swami Muktananda, considère son activation comme un puissant catalyseur d’éveil spirituel et de développement psychique ; K. Ring comme Gopi Krishna ou A. Bailey, attribuent à cette énergie à la fois vitale et destructrice le pouvoir d’accélérer l’évolution non seulement de la conscience personnelle d’un individu, mais celle de toute la race humaine ; Gurdjieff, à l’inverse des théosophes, nie son caractère « libérateur » (tout comme J. Krishnamurti, Vimala Thakar ou Ramana Maharshi) et affirme de manière provocatrice que « Kundalini est une force qui a été introduite dans les hommes pour les maintenir dans leur état actuel », situation qu’il compare à celle induite par le sommeil hypnotique ou l’ensorcellement.
Pour expliquer ces oppositions concernant le rôle de la Kundalini dans le développement humain, nous proposerons l’hypothèse suivante : il existe dans le corps trois centres dans lesquels cette Force divine, dont le déploiement a produit tous les grands sages et tous les génies de l’Histoire, peut agir afin d’éveiller l’homme à sa véritable vocation de « Fils divin » : le bassin, le cœur, et la tête ; à chaque source correspond une méthode d’éveil particulière ou « énergétique » ; l’existence d’au moins trois énergétiques différentes explique le phénomène de la « guerre des Maîtres » (Ramana Maharshi, Sri Aurobindo et Osho Rajneesh, par exemple, ne transmettent pas la même réalisation et appartiennent à des « familles énergétiques » distinctes). Nous allons maintenant étudier successivement ces trois méthodes d’Eveil singulières, qui visent chacune à la formation d’un « homme nouveau » et auxquelles nous donnerons le nom d’ « initiation tantrique » (kundalini du bassin), d’ « initiation supramentale » (kundalini de la tête), et d’ « initiation christique » (kundalini du cœur). Nous nous attacherons plus particulièrement à la description de cette dernière, qui demeure largement inconnue des chercheurs occidentaux, et nous tenterons de mettre en évidence le fait que l’Occident possède son propre ésotérisme, un ésotérisme christique, ainsi qu’une méthode d’initiation spécifique (le transfigurisme), parfaitement adaptée à la structure physiologique et mentale de l’homme occidental, et totalement indépendante des chemins et des systèmes anciens enseignés dans les religions orientales.
Le yoga de la Force ascendante
Originellement, le mot Kundalini appartient au lexique technique de l’ésotérisme indien et désigne l’énergie ophidienne lovée à la base de la colonne vertébrale. Les auteurs indiens lui donnent le nom de Shakti et voient en elle la véritable source de l’énergie universelle, du feu cosmique. Cette fantastique énergie, que la plupart des cultures connaissent depuis toujours et honorent sous la forme du serpent (en Inde, la Kundalini-Shakti est représentée sous la forme d’un serpent femelle ; on la dénomme aussi « Puissance du serpent »), possède deux aspects : l’un manifeste l’existence ordinaire, l’autre nous conduit à la Vérité suprême ; dirigée vers l’extérieur, elle nous permet d’explorer le monde qui nous entoure ; éveillée dans le centre de la base où elle demeure, la « Mère divine » nous révèle le monde intérieur, le monde spirituel.
La meilleure description que nous possédions de ce processus d’éveil spécifique nous est fournie par la philosophie du yoga, et plus particulièrement du hatha yoga. Hatha en sanscrit est composé de deux mots, ha et tha, signifiant le soleil et la lune. Ces deux astres sont ici utilisés symboliquement pour représenter les deux courants nerveux circulant du côté droit et du côté gauche de la colonne vertébrale, à l’intérieur des deux nadis ou canaux subtils de pingala et ida. Le premier, masculin, créateur, est rouge et brille comme le soleil ; le second, féminin, réceptif, est jaune et diffuse une lumière semblable à celle de la lune. Leur fonction est d’assurer la circulation du prana (« souffle inspiré » ; fluide cosmique ou supracosmique) dans le corps. Quant à la nadi centrale autour de laquelle s’entrelacent les deux autres à la façon des deux serpents du caducée, elle porte le nom de sushumna et est désignée par les ésotéristes indiens comme la « rivière du Paradis » ; de couleur blanche, elle a l’éclat du diamant. Pingala et ida se croisent six fois sur la sushumna et chacun de ces points de rencontre est appelé « chakra » (il existe encore un septième chakra, distinct des six autres et relié à la pinéale). Ces « roues de feu » sont localisées respectivement à la hauteur du sacrum, du nombril, du plexus solaire, du cœur, de la gorge, du front, et au sommet du crâne. Elles tournent plus ou moins vite mais toutes dans le même sens (de gauche à droite chez l’homme spirituel, de droite à gauche chez l’homme naturel) ; la philosophie orientale symbolise ces deux mouvements de rotation par la double swastika, dont l’une, dextrogyre, représente la « roue de la vie » et l’autre, sénestrogyre, la « roue de la mort » (= croix gammée).
La véritable fonction d’Ida et de Pingala est de conduire jusqu’à la base de l’épine dorsale les différentes énergies libérées par la maîtrise du souffle, afin d’ « exciter » la force de Kundalini qui gît là, à moitié inconsciente (les textes la représentent comme endormie au fond d’une caverne où brûle un feu à demi éteint ; l’essentiel des pratiques yoguiques consiste à souffler sur ce feu afin de le raviver). Sortant de sa léthargie, la Kundalini « se dresse en sifflant » et commence son ascension à travers la sushumna (à la manière d’un « serpent qu’agace le bâton du charmeur », dit une Upanishad) ; au cours de sa montée, elle perce les différents chakras qu’elle rencontre sur son chemin et s’unit finalement au sommet de la tête à l’Esprit universel, qui vient à sa rencontre.
Il convient de noter que ce type de « processus kundalinien » apparaît clairement non seulement dans la littérature indienne, d’inspiration yogique et tantrique, mais aussi dans le bouddhisme tibétain, le taoïsme, l’occultisme occidental ou le néo-occultisme du Nouvel Age, et qu’il est généralement basé sur l’utilisation de la magie sexuelle à des fins d’ « expansion de conscience » ou de « développement personnel ». Comme nous allons le voir maintenant, cette interprétation classique du processus de la libération a été contestée à notre époque par différents enseignants spirituels, dont Sri Aurobindo (1872-1950) et Jan van Rijckenborgh (1896-1968). Le premier, d’origine indienne, basa son yoga intégral sur l’éveil de la kundalini de la tête ; le second, d’origine hollandaise, enracinait sa pratique spirituelle sur l’éveil du Cœur, de la kundalini du cœur (en ce sens, il est proche de quelqu’un comme Ramana Maharshi), se situant dans la lignée des grands gnostiques occidentaux comme Paul de Tarse, Mani, Jacob Boehme ou les cathares.
Le yoga de la Force descendante
Aurobindo partait du principe que l’humanité était entrée depuis le début du XXì siècle dans une nouvelle phase de mutation, qui rendait caduque les anciennes méthodes d’initiation basée sur l’éveil de la kundalini dans le sacrum. Selon lui, l’ouverture des chakras, qui détermine la spiritualisation de l’homme, doit maintenant s’opérer à notre époque non plus de bas en haut (yoga de la Force ascendante) mais de haut en bas (yoga de la Force descendante). Une fois « réveillée », la force de Shiva, située au-dessus de la tête, pénètre dans le système humain par la porte de la pinéale, descend dans le canal central de la moelle épinière (sushumna) et perce, lentement et doucement, les différents chakras pour s’unir finalement avec la Mère divine, la Kundalini-Shakti, qui s’élève du bas de la colonne vertébrale à sa rencontre. L’un des avantages de cette méthode est que les centres énergétiques situés dans le bassin, vitaux et subconscients, ne s’ouvrent qu’en dernier (à l’inverse du processus tantrique), parfois même longtemps après qu’ils aient été « percés », évitant ainsi au candidat d’être confronté trop rapidement avec les forces chaotiques et sauvages de la Nature (c’est la raison pour laquelle les yogas traditionnels exigent absolument la présence d’un Maître protecteur, pour éviter à l’adepte de sombrer dans la folie ou l’autodestruction). Le but du processus révolutionnaire envisagé par Sri Aurobindo n’est donc pas seulement de « monter » pour parvenir à la libération de la conscience hors de la matière, mais au contraire de « descendre » pour transformer la Vie et la Matière jusque dans ses constituants les plus intimes (spiritualisation de la Nature)1.
Transfiguration
Van Rijckenborgh, de son côté, récuse les deux approches précédentes comme partielles et incomplètes et propose dans son enseignement une troisième voie, une troisième énergétique, qui unit et fusionne les deux visions précédentes. Elle mobilise trois kundalinis et non deux comme dans les autres formes de yogas, lesquelles excluent, de fait et structurellement, le pôle du cœur situé actuellement en dehors du système du « feu du serpent ». Selon le gnostique hollandais, « redresser le cœur », c’est-à-dire éveiller la kundalini dans le « sanctuaire » du cœur et replacer le centre du sentiment dans l’axe de celui de la tête et du bassin, représente la première tâche pour celui qui désire suivre le chemin de « l’initiation christique ».
En quoi consiste cette méthode de délivrance particulière que Van Rijckenborgh nomme « Transfiguration » et définit comme : « intervertir les personnalités terrestre et céleste », ce qui implique d’abord l’éveil de cette personnalité céleste par un changement fondamental du penser, puis du désir (corps astral) et enfin une maîtrise des éthers (corps éthérique comme matrice d’un nouveau corps physique) ?2
Pour la décrire dans son essence, prenons d’abord une image classique, celle de la métamorphose de la chenille en papillon, utilisée par de nombreuses fraternités gnostiques (en particulier, les cathares) pour exprimer le mystère de la « Grande Transformation «. Une chenille se protège de l’extérieur en s’enfermant dans un cocon ou en s’enterrant. Elle se fige en une sorte de petite momie, la chrysalide (chrysos : l’or) qui curieusement prend très vite l’apparence extérieure du futur papillon. Pendant plusieurs mois rien ne se passe, tout au moins en apparence ; puis un jour, un miracle étonnant se produit : une nouvelle créature ailée émerge du cocon en déchirant l’enveloppe rigide de la chrysalide, déploie ses ailes et s’envole. La chrysalide, l’enveloppe extérieure, avait l’air complètement inerte, comme morte. Pourtant, à l’intérieur, des changements remarquables avaient lieu. Ceux-ci peuvent être décrit de la manière suivante : la chenille et le papillon n’évoluant pas dans les mêmes espaces et ne se nourrissant pas de la même manière (une chenille mâche des feuilles, un papillon boit du nectar liquide), une transformation structurelle est nécessaire, de nouveaux organes doivent être constitués. Ceux de la chenille se dissolvent, se transforment en fluides et il ne reste plus que 7 ganglions, qui rappellent analogiquement les 7 chakras du corps astral chez l’homme ; et c’est à partir de cette matière apparemment informe mais vibrante de vie, d’informations et de conscience, de cette « tourbe alchimique «, que se forment les ailes, les yeux, les muscles et le cerveau du futur papillon. Jusqu’à la réalisation finale qui voit le papillon s’extraire de sa gangue grossière, tous les changements qui s’opèrent dans la chrysalide doivent demeurer secrets et invisibles au regard de l’observateur extérieur, afin que protégé dans la coquille qu’elle s’est fabriquée, la « nouvelle créature » puisse accomplir dans les meilleures conditions cette métamorphose, qui absorbe tout son temps et son énergie vitale.
Le mystère du microcosme
Cette métaphore empruntée au règne animal s’applique parfaitement et totalement à l’homme engagé dans le processus de « transfiguration », que les Evangiles canoniques et apocryphes nous relatent. Le terme « endoura », dont parle la gnose cathare, désigne le processus d’abolition ou d’annihilation de l’égo, par lequel s’opère le remplacement de l’homme naturel par l’homme spirituel. Le mot « transfiguration » se rapporte à l’épisode évangélique précédant la montée au Golgotha (littéralement, le mont du crâne), où le Christ apparaît à ses plus proches disciples dans son « vêtement de lumière » et leur dévoile sa véritable nature. D’où la parole :
« Celui qui acceptera de perdre sa vie pour Moi [par ce processus d’abolition de l’égo], la conservera [par la transfiguration]. »
Il s’agit là de processus complexes et subtils qui doivent s’accomplir dans le « microcosme « humain. La notion de « microcosme » (petit monde) est commune à toutes les grandes traditions spirituelles, qui voient dans le composé humain une synthèse de l’univers, un « reflet fidèle de point en point des cieux et de la terre », selon la formule manichéenne. Selon les enseignements de Van Rijckenborgh, le microcosme peut être décrit comme une sphère de conscience, multidimensionnelle, dans laquelle est gravée l’image de l’univers entier. C’est l’Homme Primordial, l’Homme parfait, l’Homme solaire, par lequel la Divinité inconnaissable se rend sensible. Au centre de cette sphère, qui est comparable à la chrysalide ou au cocon de notre exemple précédent, brûle une étincelle du Feu divin. C’est le principe central, propulseur, du microcosme, la « monade », qui contient cachée en son sein le plan de développement de l’homme total. Tout ce qui est de l’Esprit Universel se transmet à l’étincelle divine et par là au microcosme tout entier (c’est ainsi que s’accomplit le véritable devenir de la Création et de la créature).
Le mystère de l’Esprit
La monade ou « roue flamboyante de la Vie » a deux pôles. Le premier se trouve au centre du microcosme, à peu près à la hauteur du cœur. C’est le pôle féminin, négatif, récepteur et générateur : l’Âme, la Mère, symbolisée dans les textes alchimiques par la Lune. L’autre pôle, en liaison avec la glande pinéale, se situe au-dessus de la tête, on pourrait dire à la périphérie de la roue de feu : c’est le pôle masculin, positif, créateur et dominateur : l’Esprit, le Père, représenté par le Soleil dans les différentes mythologies. L’aspect-Père et l’aspect-Mère, l’aspect masculin et l’aspect féminin, l’Esprit et l’Âme nous sont donc très proches dans le microcosme, « plus près que les pieds et les mains », déclare Jacob Boehme, « plus proche que la veine jugulaire », dit le Coran des musulmans. C’est à ce mystère de la monade, de l’Esprit en nous, que fait allusion un ancien texte gnostique, attribué à Simon le Magicien : « En chaque être humain réside une puissance infinie qui est à l’origine de l’univers. Cette énergie extraordinaire existe sous deux formes : l’une active, l’autre potentielle. Elle demeure en chacun sous une forme latente ». Ou encore : « Il y a en en chacun [un pouvoir divin] qui existe à l’état latent… Pouvoir unique qui se divise au-dessus et au-dessous… qui est mère de soi-même, père de soi-même… qui est source du cercle entier de l’existence. »
Selon les indications transmises par Van Rijckenborgh, le processus de rétablissement de la liaison, aujourd’hui brisée, entre les deux pôles de la monade dans les sanctuaires du cœur et de la tête (c’est là le sens vrai de la notion de « chute ») s’accomplit en trois phases, en « trois temps « selon la parole christique : « Détruisez ce temple, et en trois jours je le relèverai ». Et l’auteur de l’Evangile de Jean juge nécessaire de préciser « il parlait du temple de son corps « (Jean 2, 19-21). La première phase de ce Grand-Œuvre alchimique concerne la renaissance spirituelle, l’entrée de l’Esprit dans le microcosme, la seconde se rapporte à la renaissance de l’âme, à la nouvelle radiation de conscience qui prend forme dans le système du feu du serpent (le double système nerveux formé par les deux cordons du sympathique et l’axe cérébro-spinal), et la troisième a trait à la renaissance de l’être tout entier (transfiguration).
La naissance de la Lumière
Une ancienne légende chinoise veut que Lao-Tseu, après avoir quitté la Chine pour l’Occident, se soit métamorphosé en une grenade qu’avala, alors, la mère de Mani, Maryam (Marie). Celle-ci se retrouva enceinte et engendra le « Bouddha de Lumière «, Mani. Le récit relate que l’enfant « sortit en fendant la poitrine de sa mère «, fait qui est confirmé par un autre texte manichéen (Compendium) où il est dit que le jeune prophète est né du « sein « de sa mère, et non de son ventre. Ce principe de la « naissance immaculée » se retrouve dans la plupart des grandes traditions religieuses : les disciples du Bouddha font naître leur maître du flanc de sa mère, alors que Jésus, le futur Christ, ou Krishna, sont engendrés de manière miraculeuse d’une Vierge et viennent au jour dans une grotte.
Ces différents récits mythiques attirent ici notre attention sur le fait suivant : pour les gnostiques, d’inspiration « christique », la naissance spirituelle s’accomplit toujours dans la « grotte » du cœur, à partir d’une force pure, non naturelle, « vierge » (= Marie ou Maya), car c’est là que siège l’étincelle divine, la flamme de la monade dans le microcosme (c’est la grande différence avec les autres énergétiques qui trouvent leur origine soit dans le sacrum, soit dans la tête). Une question se pose ici : comment le premier pôle de la monade, le rayonnement du microcosme, c’est-à-dire la force de rayonnement du noyau divin de l’Ame (Marie), va-t-il pouvoir trouver accès au cœur humain ? Ce processus de réconciliation entre Dieu (la monade) et l’homme peut être à nouveau réalisé grâce à l’existence dans notre corps de ce merveilleux « organe » réflecteur, situé au sommet du ventricule droit du cœur, que Van Rijckenborgh nomme à la suite des rose-croix classiques, « rose du cœur » ou « atome christique », et que la tradition ésotérique désigne comme le « miroir des Mystères ». Sa tâche est de permettre aux activités de l’éternité de percer dans le temps, dans la créature temporelle que nous sommes, nous, hommes terrestres et mortels. Le rayonnement du noyau du microcosme, le rayonnement du premier pôle de la monade, doit pouvoir se relier à l’atome réflecteur de notre cœur ; alors, il peut être dit que la « rose » du microcosme s’unit à la « rose du cœur ». Ainsi naît dans et autour du cœur, un seul foyer puissant d’attouchement divin.
Lorsque la force de la Rose, de l’Esprit, peut pénétrer dans le cœur, elle influence par son activité rayonnante le thymus, glande à sécrétion interne située derrière le sternum, qui joue un rôle important dans les processus physiologiques de croissance, de défense et de régénérescence : celle-ci réagit à ce premier choc de lumière, à cette vibration nouvelle, et libère dans le sang une hormone, porteuse de nouvelles « valeurs éthériques », qui est transmise au sanctuaire de la tête par la circulation céphalique. Ainsi, une première relation s’établit entre le cœur et la tête, et des pensées nouvelles, différentes, se forment dans le champ de respiration (aura) du candidat. L’une des manifestations les plus remarquables de cette nouvelle activité de pensée, alimentée par la source du cœur, est la création et la vivification de « l’image de l’Homme immortel » (le Jumeau, le Double, l’Ange), esquisse du futur « Homme de lumière » qui se développe en dehors de la conscience ordinaire et irradie silencieusement.
Mais, dès que cette image commence à prendre forme dans le champ aural, un conflit violent naît et se développe dans la personnalité humaine : le moi supérieur, Lucifer-Satan en nous, s’efforce, comme Hérode dans l’Evangile, de tuer “ l’enfant divin ”, de détruire dans l’œuf la forme embryonnaire appelée à la vie par le pouvoir magique de l’imagination créatrice (c’est l’épisode du Massacre des innocents). Ce moi supérieur ou « être aural » selon van Rijckenborgh peut être décrit comme un champ magnétique septuple et conscient, entourant l’étincelle d’Esprit et la personnalité. La voûte étoilée s’y projette et il possède 12 centres de force en correspondance avec les 12 constellations zodiacales. Ces douze forces du ciel microcosmique, où est inscrit le résultat des incarnations antérieures du microcosme, sont encore reliés à la personnalité par l’intermédiaire des 12 paires de nerfs crâniens dans le sanctuaire de la tête, et déterminent la qualité de l’âme, le type, le caractère, et le comportement de chacun. Seul le cœur par la présence de la Rose échappe à cette emprise totalitaire de la conscience karmique, ainsi que les deux cordons du sympathique, à droite et gauche de la colonne vertébrale, qui fonctionnent de manière automatique et sont insensibles à la volonté-moi (à la différence du système cérébro-spinal). Par cette rapide description, nous comprenons que toute perturbation induite par la force gnostique dans la personnalité est instantanément captée et transmise à l’être aural, et inversement. Ce premier enflammement du sanctuaire de la tête marque donc le début d’une lutte très particulière qui bouleverse en profondeur le système magnétique aural et annonce sa prochaine disparition, car un « nouveau ciel », un nouveau firmament de douze forces, et une « nouvelle terre », une nouvelle personnalité, doivent apparaître dans le microcosme régénéré (c’est à ce fait spirituel incontestable que Jean fait allusion lorsqu’il dit à la fin de l’Apocalypse : « Et je vis un nouveau ciel et une nouvelle terre »).
Involution
Si le candidat résiste aux pressions exercées par l’être aural sur sa conscience, et si cette orientation du cœur et de la tête sur le « Tout Autre » peut être maintenue suffisamment longtemps, la force-lumière, libérée par la monade et reflétée par l’atome primordial, se concentre dans l’espace libre derrière l’os frontal, entre les deux arcades sourcilières. La voie du sommet lui étant fermée, en raison de la domination exercée par l’être aural sur le cerveau, et l’axe de la moelle épinière lui étant interdit parce qu’il est l’instrument de la volonté personnelle et de la conscience-moi ordinaire, la force-lumière gnostique n’a d’autre choix que de descendre le long du cordon droit du sympathique (pingala) jusqu’au plexus sacré. Ce processus d’involution s’accomplit en cinq étapes et correspond pour le candidat à « cinq épreuves », à « cinq grands combats », se rapportant à la neutralisation du mouvement désordonné des chakras et à la maîtrise des forces qui s’y rattachent.
Le premier chakra touché est, nous l’avons vu, celui du front : sa réorientation et sa nouvelle polarisation engendre une première rénovation des trois pouvoirs de la conscience : désir, pensée et vouloir.
Le feu de la kundalini du cœur influence ensuite le chakra de la gorge, qui est relié au larynx et à la thyroïde, et modifie l’assimilation des forces naturelles captées par la respiration. L’une des conséquences résultant de ce processus est le renouvellement du langage, l’apparition du vrai pouvoir de la parole, que les Anciens symbolisaient par l’épée à double tranchant. A travers le larynx, situé entre la tête et le cœur, l’état réel de nos pensées et de nos sentiments se révélera, et un nouveau son se fera entendre.
Le troisième chakra, dont l’activité est modifiée par la descente du feu gnostique, est celui du cœur. Le conflit incessant entre la tête et le cœur, entre le sentiment et la raison, est la principale cause des désordres que constatons en nous et hors de nous. Parvenir à la pureté du cœur, à la maîtrise des passions, ouvrir l’organe du sentiment à la véritable foi, à la pitié et à la compassion, est la clé du nouveau devenir humain et l’unique voie possible « pour sortir de la barbarie des idées » (E. Morin). Toutefois, ce « redressement du cœur » n’a rien à voir avec une simple modification des sentiments, ni avec un refoulement des désirs ou une émotion mystique suscitée par une expérience transpersonnelle. La Lumière divine ne pénètre que dans un sanctuaire du cœur apte à la recevoir. C’est pourquoi le chevalier spirituel qui a pu extraire l’épée de la pierre et a démontré par des actes concrets la pureté de ses intentions, reçoit ici pour mission de réaliser ce que la Langue Sacrée appelle la « fonte du Graal ». Selon Van Rijckenborgh, les trois circuits des plexus nerveux du larynx, des poumons, et du cœur, reliés aux différents chakras, forment anatomiquement une esquisse de la coupe sacrée3 : le pied du calice repose dans l’orifice cardiaque, la tige se dresse dans les poumons, et la partie haute correspond au larynx4. La construction envisagée ici n’est donc pas purement symbolique, mais correspond à une tâche bien réelle, qui consiste à rétablir organiquement l’unité entre les sanctuaires de la tête et du cœur, afin que l’Esprit universel puisse se manifester dans l’âme humaine.
Si le feu gnostique peut franchir la porte du cœur, après avoir façonné le vase sacré dans le plus pur cristal éthérique et que celui-ci démontre qu’il est capable de supporter le contact du feu céleste, une nouvelle purification a lieu, qui concerne les fonctions du métabolisme, et en particulier le système foie-rate, l’estomac, le pancréas, les reins, les glandes surrénales. Pénétrant toujours plus profondément dans les « Ténèbres » du système humain, la vibration gnostique atteint les centres nerveux vitaux régissant les organes d’assimilation et d’épuration, et leur restitue la capacité de capter, stocker, transformer, et rayonner la lumière spirituelle. C’est à ce processus de « manducation », consistant littéralement à « manger la lumière », qu’a trait l’épisode évangélique de la Cène (voir aussi le mythe élaboré par Mani). Lorsqu’il est dit : « Prenez et mangez, ceci est mon corps » et « Buvez à cette coupe », notre attention est dirigée sur le fait que la force spirituelle (le breuvage divin), attirée et concentrée par la tête et le cœur, peut désormais influencer durablement les centres de conscience inférieurs, « là où demeure Satan/Lucifer » (Apocalypse 2 : 13), et se répandre dans tout le système nerveux (les 12 paires de nerfs crâniens, les 12 disciples). Ce phénomène de rétention de la force-lumière gnostique a pour principal effet de modifier la sécrétion interne des organes sexuels et de provoquer une réorientation totale de la force créatrice. C’est ainsi que l’homme naît véritablement de Dieu, qu’il est régénéré « non par une semence corruptible [comme c’est le cas dans l’initiation tantrique, l’occultisme ou le mysticisme5] mais par une semence incorruptible » (1 Pierre 1 : 22-23), celle de la rose du cœur (c’est l’Eros de Platon).
Quand les chakras du plexus solaire et du nombril sont conquis, le courant christique pénètre jusqu’au sacrum, où siège le « serpent lové », la fameuse Kundalini-Shakti des ésotéristes indiens. C’est là, à la base de la colonne vertébrale, au « pôle sud « du système cérébro-spinal, qu’a lieu le combat contre le Dragon, gardien des Enfers, contre « le serpent ancien qui est le diable et Satan » (Apocalypse 20 : 2) ; c’est ici, au fondement même du système humain, que se livre la « Grande Guerre » contre les forces du passé, du karma accumulé au cours des incarnations successives du microcosme, et les « esprits de l’air », les puissances invisibles qui règnent dans le domaine des morts (sphère réflectrice). Nous comprenons par cette description que l’initiation christique diffère fondamentalement des autres méthodes, occultes, mystiques et magiques, qui prennent pour point de départ l’éveil de la kundalini du bassin non purifiée, et s’efforcent de la faire monter vers le sommet de la tête, afin d’élargir le champ de la conscience et de dissoudre le Moi. Contrairement à ce que croient beaucoup de chercheurs, victimes d’eux-mêmes et des enseignants en qui ils placent inconsidérément leur confiance, ce type de pratiques n’aboutit en définitive qu’à un renforcement de la liaison avec l’être aural et à un adombrement de la conscience.
Evolution et révolution
Lorsque le mélange et la fusion des deux Feux peut être réalisée, au terme d’un processus de purification long et difficile (pensons ici aux différentes phases du Grand Œuvre alchimique), que l’âme nouvelle est totalement libérée du passé et de ses influences, nous voyons le courant de force-lumière remonter par le cordon gauche du sympathique (ida) et revenir à son point de départ, derrière l’os frontal, entre les deux arcades sourcilières. Un nouveau feu du serpent, formé par les deux cordons du sympathique, se dresse au centre du microcosme ; une âme nouvelle, la merveilleuse fleur d’or, rayonne du milieu du front vers l’extérieur ; le sens de rotation inversé des chakras (mouvement dextrogyre) témoigne de sa « conversion » aux valeurs de la Vie nouvelle.
Enfin, c’est la percée vers la pinéale, le chakra-couronne : la troisième source de Kundalini s’ouvre, et la lumière spirituelle embrase le système cérébro-spinal, expulsant ainsi de sa demeure l’ancien moi, le feu-serpent naturel. A cet instant, pingala, ida et sushumna s’unissent et se fondent en une tri-unité parfaite ; un nouveau corps de lumière, glorieux, se forme, constitué d’éthers purs en provenance de la Surnature. Le triple temple de l’Origine est maintenant reconstitué grâce à la force de Kundalini et un nouveau « fils des Serpents » fait son apparition dans le monde. Conscient du prodige de l’unification qui s’est accompli en lui, il peut, comme le Christ-Jésus, témoigner de ce fait : « Le Père et moi sommes un ; Je suis l’alpha et l’oméga, le premier et le dernier. »
1. Ce processus est décrit explicitement par Satprem dans son livre : Sri Aurobindo ou l’aventure de la conscience, (Buchet/Chastel, 1970), p. 67-68 ; 46-47.
2. Concernant une description détaillée de ce processus, voir les ouvrages suivants de J. van Rijckenborgh : Un homme nouveau vient ; La Gnose des temps présents ; La Gnose universelle ; Réveil. Ces différents ouvrages sont distribués en France par les Editions du Septénaire, et sont disponibles à l’adresse suivante : rue Tourtel Frères, 54116 Tantonville ; tel : 03 83 52 46 17 ; fax : 03 83 52 53 22 ; e-mail : editions.Septenaire@wanadoo.fr
3. Les plexus, répartis dans le corps en sept groupes de sept, sont des enchevêtrements de filets nerveux formant des sortes de nœuds ou ganglions, en relation avec les chakras et les glandes à sécrétion interne. Du fait qu’ils ne peuvent être observés par les sens ordinaires ou au microscope, aucun manuel d’anatomie classique ne les mentionne.
4. Cf. La Gnose universelle, p. 138.
5. Voir ici le témoignage de Gopi Krishna, dans Kundalini – Autobiographie d’un éveil, J’ai Lu, coll. Aventure secrète.
(publié dans la revue 3ème millénaire)
Depuis un siècle et demi environ, des chercheurs venus de tous les horizons s’intéressent au phénomène de la Kundalini et à son rôle dans l’évolution humaine. Son étude, tant sur le plan ésotérique que scientifique, a suscité nombre d’opinions contradictoires et le plus souvent divergentes : Mme Blavatsky, qui a introduit le concept en Occident vers 1875, la nomme « puissance électrique » et la décrit comme la véritable source des états de conscience supérieurs ; Jung voit dans cette force primordiale et universelle, associée traditionnellement à la sexualité, le fondement d’une « énergétique de l’âme » conduisant à la réalisation du Soi, au moyen de l’individuation ; S. Grof, influencé par les enseignements de Swami Muktananda, considère son activation comme un puissant catalyseur d’éveil spirituel et de développement psychique ; K. Ring comme Gopi Krishna ou A. Bailey, attribuent à cette énergie à la fois vitale et destructrice le pouvoir d’accélérer l’évolution non seulement de la conscience personnelle d’un individu, mais celle de toute la race humaine ; Gurdjieff, à l’inverse des théosophes, nie son caractère « libérateur » (tout comme J. Krishnamurti, Vimala Thakar ou Ramana Maharshi) et affirme de manière provocatrice que « Kundalini est une force qui a été introduite dans les hommes pour les maintenir dans leur état actuel », situation qu’il compare à celle induite par le sommeil hypnotique ou l’ensorcellement.
Pour expliquer ces oppositions concernant le rôle de la Kundalini dans le développement humain, nous proposerons l’hypothèse suivante : il existe dans le corps trois centres dans lesquels cette Force divine, dont le déploiement a produit tous les grands sages et tous les génies de l’Histoire, peut agir afin d’éveiller l’homme à sa véritable vocation de « Fils divin » : le bassin, le cœur, et la tête ; à chaque source correspond une méthode d’éveil particulière ou « énergétique » ; l’existence d’au moins trois énergétiques différentes explique le phénomène de la « guerre des Maîtres » (Ramana Maharshi, Sri Aurobindo et Osho Rajneesh, par exemple, ne transmettent pas la même réalisation et appartiennent à des « familles énergétiques » distinctes). Nous allons maintenant étudier successivement ces trois méthodes d’Eveil singulières, qui visent chacune à la formation d’un « homme nouveau » et auxquelles nous donnerons le nom d’ « initiation tantrique » (kundalini du bassin), d’ « initiation supramentale » (kundalini de la tête), et d’ « initiation christique » (kundalini du cœur). Nous nous attacherons plus particulièrement à la description de cette dernière, qui demeure largement inconnue des chercheurs occidentaux, et nous tenterons de mettre en évidence le fait que l’Occident possède son propre ésotérisme, un ésotérisme christique, ainsi qu’une méthode d’initiation spécifique (le transfigurisme), parfaitement adaptée à la structure physiologique et mentale de l’homme occidental, et totalement indépendante des chemins et des systèmes anciens enseignés dans les religions orientales.
Le yoga de la Force ascendante
Originellement, le mot Kundalini appartient au lexique technique de l’ésotérisme indien et désigne l’énergie ophidienne lovée à la base de la colonne vertébrale. Les auteurs indiens lui donnent le nom de Shakti et voient en elle la véritable source de l’énergie universelle, du feu cosmique. Cette fantastique énergie, que la plupart des cultures connaissent depuis toujours et honorent sous la forme du serpent (en Inde, la Kundalini-Shakti est représentée sous la forme d’un serpent femelle ; on la dénomme aussi « Puissance du serpent »), possède deux aspects : l’un manifeste l’existence ordinaire, l’autre nous conduit à la Vérité suprême ; dirigée vers l’extérieur, elle nous permet d’explorer le monde qui nous entoure ; éveillée dans le centre de la base où elle demeure, la « Mère divine » nous révèle le monde intérieur, le monde spirituel.
La meilleure description que nous possédions de ce processus d’éveil spécifique nous est fournie par la philosophie du yoga, et plus particulièrement du hatha yoga. Hatha en sanscrit est composé de deux mots, ha et tha, signifiant le soleil et la lune. Ces deux astres sont ici utilisés symboliquement pour représenter les deux courants nerveux circulant du côté droit et du côté gauche de la colonne vertébrale, à l’intérieur des deux nadis ou canaux subtils de pingala et ida. Le premier, masculin, créateur, est rouge et brille comme le soleil ; le second, féminin, réceptif, est jaune et diffuse une lumière semblable à celle de la lune. Leur fonction est d’assurer la circulation du prana (« souffle inspiré » ; fluide cosmique ou supracosmique) dans le corps. Quant à la nadi centrale autour de laquelle s’entrelacent les deux autres à la façon des deux serpents du caducée, elle porte le nom de sushumna et est désignée par les ésotéristes indiens comme la « rivière du Paradis » ; de couleur blanche, elle a l’éclat du diamant. Pingala et ida se croisent six fois sur la sushumna et chacun de ces points de rencontre est appelé « chakra » (il existe encore un septième chakra, distinct des six autres et relié à la pinéale). Ces « roues de feu » sont localisées respectivement à la hauteur du sacrum, du nombril, du plexus solaire, du cœur, de la gorge, du front, et au sommet du crâne. Elles tournent plus ou moins vite mais toutes dans le même sens (de gauche à droite chez l’homme spirituel, de droite à gauche chez l’homme naturel) ; la philosophie orientale symbolise ces deux mouvements de rotation par la double swastika, dont l’une, dextrogyre, représente la « roue de la vie » et l’autre, sénestrogyre, la « roue de la mort » (= croix gammée).
La véritable fonction d’Ida et de Pingala est de conduire jusqu’à la base de l’épine dorsale les différentes énergies libérées par la maîtrise du souffle, afin d’ « exciter » la force de Kundalini qui gît là, à moitié inconsciente (les textes la représentent comme endormie au fond d’une caverne où brûle un feu à demi éteint ; l’essentiel des pratiques yoguiques consiste à souffler sur ce feu afin de le raviver). Sortant de sa léthargie, la Kundalini « se dresse en sifflant » et commence son ascension à travers la sushumna (à la manière d’un « serpent qu’agace le bâton du charmeur », dit une Upanishad) ; au cours de sa montée, elle perce les différents chakras qu’elle rencontre sur son chemin et s’unit finalement au sommet de la tête à l’Esprit universel, qui vient à sa rencontre.
Il convient de noter que ce type de « processus kundalinien » apparaît clairement non seulement dans la littérature indienne, d’inspiration yogique et tantrique, mais aussi dans le bouddhisme tibétain, le taoïsme, l’occultisme occidental ou le néo-occultisme du Nouvel Age, et qu’il est généralement basé sur l’utilisation de la magie sexuelle à des fins d’ « expansion de conscience » ou de « développement personnel ». Comme nous allons le voir maintenant, cette interprétation classique du processus de la libération a été contestée à notre époque par différents enseignants spirituels, dont Sri Aurobindo (1872-1950) et Jan van Rijckenborgh (1896-1968). Le premier, d’origine indienne, basa son yoga intégral sur l’éveil de la kundalini de la tête ; le second, d’origine hollandaise, enracinait sa pratique spirituelle sur l’éveil du Cœur, de la kundalini du cœur (en ce sens, il est proche de quelqu’un comme Ramana Maharshi), se situant dans la lignée des grands gnostiques occidentaux comme Paul de Tarse, Mani, Jacob Boehme ou les cathares.
Le yoga de la Force descendante
Aurobindo partait du principe que l’humanité était entrée depuis le début du XXì siècle dans une nouvelle phase de mutation, qui rendait caduque les anciennes méthodes d’initiation basée sur l’éveil de la kundalini dans le sacrum. Selon lui, l’ouverture des chakras, qui détermine la spiritualisation de l’homme, doit maintenant s’opérer à notre époque non plus de bas en haut (yoga de la Force ascendante) mais de haut en bas (yoga de la Force descendante). Une fois « réveillée », la force de Shiva, située au-dessus de la tête, pénètre dans le système humain par la porte de la pinéale, descend dans le canal central de la moelle épinière (sushumna) et perce, lentement et doucement, les différents chakras pour s’unir finalement avec la Mère divine, la Kundalini-Shakti, qui s’élève du bas de la colonne vertébrale à sa rencontre. L’un des avantages de cette méthode est que les centres énergétiques situés dans le bassin, vitaux et subconscients, ne s’ouvrent qu’en dernier (à l’inverse du processus tantrique), parfois même longtemps après qu’ils aient été « percés », évitant ainsi au candidat d’être confronté trop rapidement avec les forces chaotiques et sauvages de la Nature (c’est la raison pour laquelle les yogas traditionnels exigent absolument la présence d’un Maître protecteur, pour éviter à l’adepte de sombrer dans la folie ou l’autodestruction). Le but du processus révolutionnaire envisagé par Sri Aurobindo n’est donc pas seulement de « monter » pour parvenir à la libération de la conscience hors de la matière, mais au contraire de « descendre » pour transformer la Vie et la Matière jusque dans ses constituants les plus intimes (spiritualisation de la Nature)1.
Transfiguration
Van Rijckenborgh, de son côté, récuse les deux approches précédentes comme partielles et incomplètes et propose dans son enseignement une troisième voie, une troisième énergétique, qui unit et fusionne les deux visions précédentes. Elle mobilise trois kundalinis et non deux comme dans les autres formes de yogas, lesquelles excluent, de fait et structurellement, le pôle du cœur situé actuellement en dehors du système du « feu du serpent ». Selon le gnostique hollandais, « redresser le cœur », c’est-à-dire éveiller la kundalini dans le « sanctuaire » du cœur et replacer le centre du sentiment dans l’axe de celui de la tête et du bassin, représente la première tâche pour celui qui désire suivre le chemin de « l’initiation christique ».
En quoi consiste cette méthode de délivrance particulière que Van Rijckenborgh nomme « Transfiguration » et définit comme : « intervertir les personnalités terrestre et céleste », ce qui implique d’abord l’éveil de cette personnalité céleste par un changement fondamental du penser, puis du désir (corps astral) et enfin une maîtrise des éthers (corps éthérique comme matrice d’un nouveau corps physique) ?2
Pour la décrire dans son essence, prenons d’abord une image classique, celle de la métamorphose de la chenille en papillon, utilisée par de nombreuses fraternités gnostiques (en particulier, les cathares) pour exprimer le mystère de la « Grande Transformation «. Une chenille se protège de l’extérieur en s’enfermant dans un cocon ou en s’enterrant. Elle se fige en une sorte de petite momie, la chrysalide (chrysos : l’or) qui curieusement prend très vite l’apparence extérieure du futur papillon. Pendant plusieurs mois rien ne se passe, tout au moins en apparence ; puis un jour, un miracle étonnant se produit : une nouvelle créature ailée émerge du cocon en déchirant l’enveloppe rigide de la chrysalide, déploie ses ailes et s’envole. La chrysalide, l’enveloppe extérieure, avait l’air complètement inerte, comme morte. Pourtant, à l’intérieur, des changements remarquables avaient lieu. Ceux-ci peuvent être décrit de la manière suivante : la chenille et le papillon n’évoluant pas dans les mêmes espaces et ne se nourrissant pas de la même manière (une chenille mâche des feuilles, un papillon boit du nectar liquide), une transformation structurelle est nécessaire, de nouveaux organes doivent être constitués. Ceux de la chenille se dissolvent, se transforment en fluides et il ne reste plus que 7 ganglions, qui rappellent analogiquement les 7 chakras du corps astral chez l’homme ; et c’est à partir de cette matière apparemment informe mais vibrante de vie, d’informations et de conscience, de cette « tourbe alchimique «, que se forment les ailes, les yeux, les muscles et le cerveau du futur papillon. Jusqu’à la réalisation finale qui voit le papillon s’extraire de sa gangue grossière, tous les changements qui s’opèrent dans la chrysalide doivent demeurer secrets et invisibles au regard de l’observateur extérieur, afin que protégé dans la coquille qu’elle s’est fabriquée, la « nouvelle créature » puisse accomplir dans les meilleures conditions cette métamorphose, qui absorbe tout son temps et son énergie vitale.
Le mystère du microcosme
Cette métaphore empruntée au règne animal s’applique parfaitement et totalement à l’homme engagé dans le processus de « transfiguration », que les Evangiles canoniques et apocryphes nous relatent. Le terme « endoura », dont parle la gnose cathare, désigne le processus d’abolition ou d’annihilation de l’égo, par lequel s’opère le remplacement de l’homme naturel par l’homme spirituel. Le mot « transfiguration » se rapporte à l’épisode évangélique précédant la montée au Golgotha (littéralement, le mont du crâne), où le Christ apparaît à ses plus proches disciples dans son « vêtement de lumière » et leur dévoile sa véritable nature. D’où la parole :
« Celui qui acceptera de perdre sa vie pour Moi [par ce processus d’abolition de l’égo], la conservera [par la transfiguration]. »
Il s’agit là de processus complexes et subtils qui doivent s’accomplir dans le « microcosme « humain. La notion de « microcosme » (petit monde) est commune à toutes les grandes traditions spirituelles, qui voient dans le composé humain une synthèse de l’univers, un « reflet fidèle de point en point des cieux et de la terre », selon la formule manichéenne. Selon les enseignements de Van Rijckenborgh, le microcosme peut être décrit comme une sphère de conscience, multidimensionnelle, dans laquelle est gravée l’image de l’univers entier. C’est l’Homme Primordial, l’Homme parfait, l’Homme solaire, par lequel la Divinité inconnaissable se rend sensible. Au centre de cette sphère, qui est comparable à la chrysalide ou au cocon de notre exemple précédent, brûle une étincelle du Feu divin. C’est le principe central, propulseur, du microcosme, la « monade », qui contient cachée en son sein le plan de développement de l’homme total. Tout ce qui est de l’Esprit Universel se transmet à l’étincelle divine et par là au microcosme tout entier (c’est ainsi que s’accomplit le véritable devenir de la Création et de la créature).
Le mystère de l’Esprit
La monade ou « roue flamboyante de la Vie » a deux pôles. Le premier se trouve au centre du microcosme, à peu près à la hauteur du cœur. C’est le pôle féminin, négatif, récepteur et générateur : l’Âme, la Mère, symbolisée dans les textes alchimiques par la Lune. L’autre pôle, en liaison avec la glande pinéale, se situe au-dessus de la tête, on pourrait dire à la périphérie de la roue de feu : c’est le pôle masculin, positif, créateur et dominateur : l’Esprit, le Père, représenté par le Soleil dans les différentes mythologies. L’aspect-Père et l’aspect-Mère, l’aspect masculin et l’aspect féminin, l’Esprit et l’Âme nous sont donc très proches dans le microcosme, « plus près que les pieds et les mains », déclare Jacob Boehme, « plus proche que la veine jugulaire », dit le Coran des musulmans. C’est à ce mystère de la monade, de l’Esprit en nous, que fait allusion un ancien texte gnostique, attribué à Simon le Magicien : « En chaque être humain réside une puissance infinie qui est à l’origine de l’univers. Cette énergie extraordinaire existe sous deux formes : l’une active, l’autre potentielle. Elle demeure en chacun sous une forme latente ». Ou encore : « Il y a en en chacun [un pouvoir divin] qui existe à l’état latent… Pouvoir unique qui se divise au-dessus et au-dessous… qui est mère de soi-même, père de soi-même… qui est source du cercle entier de l’existence. »
Selon les indications transmises par Van Rijckenborgh, le processus de rétablissement de la liaison, aujourd’hui brisée, entre les deux pôles de la monade dans les sanctuaires du cœur et de la tête (c’est là le sens vrai de la notion de « chute ») s’accomplit en trois phases, en « trois temps « selon la parole christique : « Détruisez ce temple, et en trois jours je le relèverai ». Et l’auteur de l’Evangile de Jean juge nécessaire de préciser « il parlait du temple de son corps « (Jean 2, 19-21). La première phase de ce Grand-Œuvre alchimique concerne la renaissance spirituelle, l’entrée de l’Esprit dans le microcosme, la seconde se rapporte à la renaissance de l’âme, à la nouvelle radiation de conscience qui prend forme dans le système du feu du serpent (le double système nerveux formé par les deux cordons du sympathique et l’axe cérébro-spinal), et la troisième a trait à la renaissance de l’être tout entier (transfiguration).
La naissance de la Lumière
Une ancienne légende chinoise veut que Lao-Tseu, après avoir quitté la Chine pour l’Occident, se soit métamorphosé en une grenade qu’avala, alors, la mère de Mani, Maryam (Marie). Celle-ci se retrouva enceinte et engendra le « Bouddha de Lumière «, Mani. Le récit relate que l’enfant « sortit en fendant la poitrine de sa mère «, fait qui est confirmé par un autre texte manichéen (Compendium) où il est dit que le jeune prophète est né du « sein « de sa mère, et non de son ventre. Ce principe de la « naissance immaculée » se retrouve dans la plupart des grandes traditions religieuses : les disciples du Bouddha font naître leur maître du flanc de sa mère, alors que Jésus, le futur Christ, ou Krishna, sont engendrés de manière miraculeuse d’une Vierge et viennent au jour dans une grotte.
Ces différents récits mythiques attirent ici notre attention sur le fait suivant : pour les gnostiques, d’inspiration « christique », la naissance spirituelle s’accomplit toujours dans la « grotte » du cœur, à partir d’une force pure, non naturelle, « vierge » (= Marie ou Maya), car c’est là que siège l’étincelle divine, la flamme de la monade dans le microcosme (c’est la grande différence avec les autres énergétiques qui trouvent leur origine soit dans le sacrum, soit dans la tête). Une question se pose ici : comment le premier pôle de la monade, le rayonnement du microcosme, c’est-à-dire la force de rayonnement du noyau divin de l’Ame (Marie), va-t-il pouvoir trouver accès au cœur humain ? Ce processus de réconciliation entre Dieu (la monade) et l’homme peut être à nouveau réalisé grâce à l’existence dans notre corps de ce merveilleux « organe » réflecteur, situé au sommet du ventricule droit du cœur, que Van Rijckenborgh nomme à la suite des rose-croix classiques, « rose du cœur » ou « atome christique », et que la tradition ésotérique désigne comme le « miroir des Mystères ». Sa tâche est de permettre aux activités de l’éternité de percer dans le temps, dans la créature temporelle que nous sommes, nous, hommes terrestres et mortels. Le rayonnement du noyau du microcosme, le rayonnement du premier pôle de la monade, doit pouvoir se relier à l’atome réflecteur de notre cœur ; alors, il peut être dit que la « rose » du microcosme s’unit à la « rose du cœur ». Ainsi naît dans et autour du cœur, un seul foyer puissant d’attouchement divin.
Lorsque la force de la Rose, de l’Esprit, peut pénétrer dans le cœur, elle influence par son activité rayonnante le thymus, glande à sécrétion interne située derrière le sternum, qui joue un rôle important dans les processus physiologiques de croissance, de défense et de régénérescence : celle-ci réagit à ce premier choc de lumière, à cette vibration nouvelle, et libère dans le sang une hormone, porteuse de nouvelles « valeurs éthériques », qui est transmise au sanctuaire de la tête par la circulation céphalique. Ainsi, une première relation s’établit entre le cœur et la tête, et des pensées nouvelles, différentes, se forment dans le champ de respiration (aura) du candidat. L’une des manifestations les plus remarquables de cette nouvelle activité de pensée, alimentée par la source du cœur, est la création et la vivification de « l’image de l’Homme immortel » (le Jumeau, le Double, l’Ange), esquisse du futur « Homme de lumière » qui se développe en dehors de la conscience ordinaire et irradie silencieusement.
Mais, dès que cette image commence à prendre forme dans le champ aural, un conflit violent naît et se développe dans la personnalité humaine : le moi supérieur, Lucifer-Satan en nous, s’efforce, comme Hérode dans l’Evangile, de tuer “ l’enfant divin ”, de détruire dans l’œuf la forme embryonnaire appelée à la vie par le pouvoir magique de l’imagination créatrice (c’est l’épisode du Massacre des innocents). Ce moi supérieur ou « être aural » selon van Rijckenborgh peut être décrit comme un champ magnétique septuple et conscient, entourant l’étincelle d’Esprit et la personnalité. La voûte étoilée s’y projette et il possède 12 centres de force en correspondance avec les 12 constellations zodiacales. Ces douze forces du ciel microcosmique, où est inscrit le résultat des incarnations antérieures du microcosme, sont encore reliés à la personnalité par l’intermédiaire des 12 paires de nerfs crâniens dans le sanctuaire de la tête, et déterminent la qualité de l’âme, le type, le caractère, et le comportement de chacun. Seul le cœur par la présence de la Rose échappe à cette emprise totalitaire de la conscience karmique, ainsi que les deux cordons du sympathique, à droite et gauche de la colonne vertébrale, qui fonctionnent de manière automatique et sont insensibles à la volonté-moi (à la différence du système cérébro-spinal). Par cette rapide description, nous comprenons que toute perturbation induite par la force gnostique dans la personnalité est instantanément captée et transmise à l’être aural, et inversement. Ce premier enflammement du sanctuaire de la tête marque donc le début d’une lutte très particulière qui bouleverse en profondeur le système magnétique aural et annonce sa prochaine disparition, car un « nouveau ciel », un nouveau firmament de douze forces, et une « nouvelle terre », une nouvelle personnalité, doivent apparaître dans le microcosme régénéré (c’est à ce fait spirituel incontestable que Jean fait allusion lorsqu’il dit à la fin de l’Apocalypse : « Et je vis un nouveau ciel et une nouvelle terre »).
Involution
Si le candidat résiste aux pressions exercées par l’être aural sur sa conscience, et si cette orientation du cœur et de la tête sur le « Tout Autre » peut être maintenue suffisamment longtemps, la force-lumière, libérée par la monade et reflétée par l’atome primordial, se concentre dans l’espace libre derrière l’os frontal, entre les deux arcades sourcilières. La voie du sommet lui étant fermée, en raison de la domination exercée par l’être aural sur le cerveau, et l’axe de la moelle épinière lui étant interdit parce qu’il est l’instrument de la volonté personnelle et de la conscience-moi ordinaire, la force-lumière gnostique n’a d’autre choix que de descendre le long du cordon droit du sympathique (pingala) jusqu’au plexus sacré. Ce processus d’involution s’accomplit en cinq étapes et correspond pour le candidat à « cinq épreuves », à « cinq grands combats », se rapportant à la neutralisation du mouvement désordonné des chakras et à la maîtrise des forces qui s’y rattachent.
Le premier chakra touché est, nous l’avons vu, celui du front : sa réorientation et sa nouvelle polarisation engendre une première rénovation des trois pouvoirs de la conscience : désir, pensée et vouloir.
Le feu de la kundalini du cœur influence ensuite le chakra de la gorge, qui est relié au larynx et à la thyroïde, et modifie l’assimilation des forces naturelles captées par la respiration. L’une des conséquences résultant de ce processus est le renouvellement du langage, l’apparition du vrai pouvoir de la parole, que les Anciens symbolisaient par l’épée à double tranchant. A travers le larynx, situé entre la tête et le cœur, l’état réel de nos pensées et de nos sentiments se révélera, et un nouveau son se fera entendre.
Le troisième chakra, dont l’activité est modifiée par la descente du feu gnostique, est celui du cœur. Le conflit incessant entre la tête et le cœur, entre le sentiment et la raison, est la principale cause des désordres que constatons en nous et hors de nous. Parvenir à la pureté du cœur, à la maîtrise des passions, ouvrir l’organe du sentiment à la véritable foi, à la pitié et à la compassion, est la clé du nouveau devenir humain et l’unique voie possible « pour sortir de la barbarie des idées » (E. Morin). Toutefois, ce « redressement du cœur » n’a rien à voir avec une simple modification des sentiments, ni avec un refoulement des désirs ou une émotion mystique suscitée par une expérience transpersonnelle. La Lumière divine ne pénètre que dans un sanctuaire du cœur apte à la recevoir. C’est pourquoi le chevalier spirituel qui a pu extraire l’épée de la pierre et a démontré par des actes concrets la pureté de ses intentions, reçoit ici pour mission de réaliser ce que la Langue Sacrée appelle la « fonte du Graal ». Selon Van Rijckenborgh, les trois circuits des plexus nerveux du larynx, des poumons, et du cœur, reliés aux différents chakras, forment anatomiquement une esquisse de la coupe sacrée3 : le pied du calice repose dans l’orifice cardiaque, la tige se dresse dans les poumons, et la partie haute correspond au larynx4. La construction envisagée ici n’est donc pas purement symbolique, mais correspond à une tâche bien réelle, qui consiste à rétablir organiquement l’unité entre les sanctuaires de la tête et du cœur, afin que l’Esprit universel puisse se manifester dans l’âme humaine.
Si le feu gnostique peut franchir la porte du cœur, après avoir façonné le vase sacré dans le plus pur cristal éthérique et que celui-ci démontre qu’il est capable de supporter le contact du feu céleste, une nouvelle purification a lieu, qui concerne les fonctions du métabolisme, et en particulier le système foie-rate, l’estomac, le pancréas, les reins, les glandes surrénales. Pénétrant toujours plus profondément dans les « Ténèbres » du système humain, la vibration gnostique atteint les centres nerveux vitaux régissant les organes d’assimilation et d’épuration, et leur restitue la capacité de capter, stocker, transformer, et rayonner la lumière spirituelle. C’est à ce processus de « manducation », consistant littéralement à « manger la lumière », qu’a trait l’épisode évangélique de la Cène (voir aussi le mythe élaboré par Mani). Lorsqu’il est dit : « Prenez et mangez, ceci est mon corps » et « Buvez à cette coupe », notre attention est dirigée sur le fait que la force spirituelle (le breuvage divin), attirée et concentrée par la tête et le cœur, peut désormais influencer durablement les centres de conscience inférieurs, « là où demeure Satan/Lucifer » (Apocalypse 2 : 13), et se répandre dans tout le système nerveux (les 12 paires de nerfs crâniens, les 12 disciples). Ce phénomène de rétention de la force-lumière gnostique a pour principal effet de modifier la sécrétion interne des organes sexuels et de provoquer une réorientation totale de la force créatrice. C’est ainsi que l’homme naît véritablement de Dieu, qu’il est régénéré « non par une semence corruptible [comme c’est le cas dans l’initiation tantrique, l’occultisme ou le mysticisme5] mais par une semence incorruptible » (1 Pierre 1 : 22-23), celle de la rose du cœur (c’est l’Eros de Platon).
Quand les chakras du plexus solaire et du nombril sont conquis, le courant christique pénètre jusqu’au sacrum, où siège le « serpent lové », la fameuse Kundalini-Shakti des ésotéristes indiens. C’est là, à la base de la colonne vertébrale, au « pôle sud « du système cérébro-spinal, qu’a lieu le combat contre le Dragon, gardien des Enfers, contre « le serpent ancien qui est le diable et Satan » (Apocalypse 20 : 2) ; c’est ici, au fondement même du système humain, que se livre la « Grande Guerre » contre les forces du passé, du karma accumulé au cours des incarnations successives du microcosme, et les « esprits de l’air », les puissances invisibles qui règnent dans le domaine des morts (sphère réflectrice). Nous comprenons par cette description que l’initiation christique diffère fondamentalement des autres méthodes, occultes, mystiques et magiques, qui prennent pour point de départ l’éveil de la kundalini du bassin non purifiée, et s’efforcent de la faire monter vers le sommet de la tête, afin d’élargir le champ de la conscience et de dissoudre le Moi. Contrairement à ce que croient beaucoup de chercheurs, victimes d’eux-mêmes et des enseignants en qui ils placent inconsidérément leur confiance, ce type de pratiques n’aboutit en définitive qu’à un renforcement de la liaison avec l’être aural et à un adombrement de la conscience.
Evolution et révolution
Lorsque le mélange et la fusion des deux Feux peut être réalisée, au terme d’un processus de purification long et difficile (pensons ici aux différentes phases du Grand Œuvre alchimique), que l’âme nouvelle est totalement libérée du passé et de ses influences, nous voyons le courant de force-lumière remonter par le cordon gauche du sympathique (ida) et revenir à son point de départ, derrière l’os frontal, entre les deux arcades sourcilières. Un nouveau feu du serpent, formé par les deux cordons du sympathique, se dresse au centre du microcosme ; une âme nouvelle, la merveilleuse fleur d’or, rayonne du milieu du front vers l’extérieur ; le sens de rotation inversé des chakras (mouvement dextrogyre) témoigne de sa « conversion » aux valeurs de la Vie nouvelle.
Enfin, c’est la percée vers la pinéale, le chakra-couronne : la troisième source de Kundalini s’ouvre, et la lumière spirituelle embrase le système cérébro-spinal, expulsant ainsi de sa demeure l’ancien moi, le feu-serpent naturel. A cet instant, pingala, ida et sushumna s’unissent et se fondent en une tri-unité parfaite ; un nouveau corps de lumière, glorieux, se forme, constitué d’éthers purs en provenance de la Surnature. Le triple temple de l’Origine est maintenant reconstitué grâce à la force de Kundalini et un nouveau « fils des Serpents » fait son apparition dans le monde. Conscient du prodige de l’unification qui s’est accompli en lui, il peut, comme le Christ-Jésus, témoigner de ce fait : « Le Père et moi sommes un ; Je suis l’alpha et l’oméga, le premier et le dernier. »
1. Ce processus est décrit explicitement par Satprem dans son livre : Sri Aurobindo ou l’aventure de la conscience, (Buchet/Chastel, 1970), p. 67-68 ; 46-47.
2. Concernant une description détaillée de ce processus, voir les ouvrages suivants de J. van Rijckenborgh : Un homme nouveau vient ; La Gnose des temps présents ; La Gnose universelle ; Réveil. Ces différents ouvrages sont distribués en France par les Editions du Septénaire, et sont disponibles à l’adresse suivante : rue Tourtel Frères, 54116 Tantonville ; tel : 03 83 52 46 17 ; fax : 03 83 52 53 22 ; e-mail : editions.Septenaire@wanadoo.fr
3. Les plexus, répartis dans le corps en sept groupes de sept, sont des enchevêtrements de filets nerveux formant des sortes de nœuds ou ganglions, en relation avec les chakras et les glandes à sécrétion interne. Du fait qu’ils ne peuvent être observés par les sens ordinaires ou au microscope, aucun manuel d’anatomie classique ne les mentionne.
4. Cf. La Gnose universelle, p. 138.
5. Voir ici le témoignage de Gopi Krishna, dans Kundalini – Autobiographie d’un éveil, J’ai Lu, coll. Aventure secrète.
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