vendredi 19 septembre 2008

"ERMITE EN HIMALAYA"


Le mot moine vient du grec monos qui signifie seul. Par ailleurs l'absolu étant unique peut être évoqué par le terme Seul. A priori, la solitude correspond à une période intensive de l'itinéraire spirituel permettant d'atteindre un certain niveau.

L'écoute du silence

Il y a un certain nombre de gens qui rêvent de pouvoir passer des périodes en solitude. Dans mon cas, je le réalise. On reproche souvent aux ermites de fuir le monde et sa lutte pour la vie. Certes cela peut parfois être vrai, les misanthropes existent, mais ce genre d'apprenti solitaire ne restent en général pas longtemps dans ce type de vie. Le souvenir de leur échec dans le monde devient très intense et ils ne tiennent pas le choc de se retrouver à temps plein en face des côtés sombres d'eux-mêmes. Ceux qui prétendent que la vie de solitaire est une solution de facilité prouvent simplement par là qu'ils ne s'y sont pas essayés sérieusement. Il faut comprendre aussi que dans le monde la plupart des gens se fuient eux-mêmes, qui dans les plaisirs de la consommation, qui dans le travail ou le désir, voir la névrose de reconnaissance sociale, ou certains dans des actions qui paraissent assez nobles de l'extérieur mais qu'ils utilisent comme prétexte pour ne pas faire face à eux-mêmes. Il y a une très belle ode mystique de Rumi dont le refrain dit simplement « Arrête-toi » C'est ce que fait l'ermite. Il sait se déposer, comme on dit dans certaines provinces pour se reposer.

Dans la vie habituelle, on est entouré de toutes sortes de supports qui tiennent la place symbolique de la mère nourricière. Le mari est ainsi entouré de sa femme qui elle-même est également soutenue financièrement par son époux. Les religieux ont tendance à se regrouper dans une institution-mère, qui les nourrit et protège. L'ermite lui mange seul ce qu'il a préparé de ses propres mains. Il n'a pas l'illusion pour cela d'être complet, indépendant du reste du monde, car il sait bien qu'il n'a pas cultivé tout ce qu'il mange et que peut-être il vit de donations de fidèles. Mais il a quand même plus d'indépendance que beaucoup d'autres.

S'il monte en solitude, ce n'est pas par orgueil, il ne fait que se laisser-aller à une aspiration forte comme une inspiration, un courant d'air ascendant qui le porte comme l'oiseau sur les flancs d'une crête. A partir d'un certain niveau d'intensité intérieure, il s'aperçoit qu'il ne peut être au four et au moulin à la fois, qu'il a chaque pied dans deux barques qui s'écartent, et il décide de s'asseoir dans celle de la solitude pour la grande traversée.

On parle traditionnellement de passer quarante jours, c'est-à-dire de nombreux jours dans le désert. Il s'agit aussi d'une mise en quarantaine, on veut être sûr qu'on n'a pas développé certaines maladies de l'âme. Et le fait de rester quarante jours à s'observer, nous permet de vérifier ce que nous avons ou non comme maladie en germe au fond de nous. Dans l'Eglise grecque vers le Vème siècle, on avait tellement confiance dans les moines et ermites que c'était parmi eux qu'on recrutait les évêques. C'est une tradition qui a tendance à perdurer dans l'Eglise copte.


L'Himalaya, une source de vie spirituelle

Pourquoi être ermite en Himalaya particulièrement ? Il y a en fait deux sources principales pour les religions du monde : Jérusalem et l'Himalaya. De nos jours Jérusalem n'est pas si paisible, les tensions là-bas occupent une bonne place des nouvelles internationales. Pour les non-dualistes, les vedantins, les bouddhistes, l'Himalaya est la source. L'Himalaya tibétain fait moins parler de lui que Jérusalem, mais a en fait de sérieux problèmes avec l'occupation chinoise qui ne seront vraiment résolus que quand il retrouvera son indépendance complète. L'Himalaya népalais et indien constitue une vie traditionnelle, mais parler de vie traditionnelle ne veut pas dire que tous les sâdhus de l'Himalaya soient des saints, loin s'en faut. Comme les paysans locaux, la plupart fument la marijuana, le chanvre poussant un peu partout. Comme eux également ils sont souvent illettrés et ne connaissent guère leur propre écriture sacrée. Certains sont mêmes délinquants ou d'ex-agitateurs politiques qui se cachent de la police sous un habit de sâdhus dans des régions reculées de montagne. Mais de même que les mauvaises herbes servent de terreau aux fleurs et font ressortir leur beauté, de même cette masse de sâdhus en eux-mêmes peu recommandables créent une toile de fond de vie solitaire d'où se détachent quelques vrais saints. Des fenêtres de mon ermitage, je vois des pics à 6000 ou 7000 mètres qui sont à la frontière du Tibet. Juste derrière, on sent sa présence formidable. Même si, comme nous l'avons dit, le bouddhisme en tant que tel a de nombreux ennuis là-bas à cause des persécutions chinoises, il semble qu'il y ait des ermites discrets qui y poursuivent assez bien leur tradition. J'avais rencontré il y a deux ans à Svayambunath un tibétologue Américain qui revenait d'un voyage en équipe à la rencontre des ermites du Tibet. Il m'a dit avoir eu nombre d'entretiens passionnants. Le Bouddha et Shankaracharya, chacun à leur manière, ont prêché une voie de la Connaissance. Le Bouddha est né à Lumbini, juste au pied de l'Himalaya, et Shankaracharya est mort près d'une source du Gange et de la frontière du Tibet à Jyosimath, nom qui signifie « le monastère de lumière ».

Si l'on monte en solitude, comme on dit au Moyen-Âge, c'est qu'on recherche une intensification de la vie spirituelle. Le rayon de la lumière intérieure, de dispersé et déphasé qu'il était, devient cohérent comme un rayon laser et il acquiert à ce moment-là-là l'énergie nécessaire pour être utilisé dans la microchirurgie des zones reculées du psychisme. L'ermite n'est pas porté à l'introversion, mais à l'introspection.

Jacques Vigne, Psychiatre
vit en Inde depuis 16 ans dans un ermitage au pied de l'Himalaya


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