Bernadette Costa-Prades
Une fois la thérapie terminée, la joie de vivre revient-elle ?
Moussa Nabati : La psychanalyse n’a jamais promis la béatitude, mais elle permet de récupérer l’énergie jusque-là dépensée à lutter contre la dépression, pour la mettre au service de projets nouveaux.C’est la souplesse, le lâcher-prise, la créativité qui reviennent. Ce n’est pas la joie que l’on retrouve en guérissant, mais plutôt la joie d’être en vie, de se sentir vivant. Tant que vous restez dans le combat,vous êtes comme anesthésié,car en voulant faire barrage à la douleur, vous supprimez du même coup les plaisirs ! Quand vous ne l’êtes plus, vous retrouvez la capacité d’accueillir toute la palette des émotions, joie et tristesse comprises. Contrairement à ce que nous souffle notre culture occidentale très manichéenne,qui a du mal à conjuguer les contraires, le bonheur et le malheur ne sont pas antinomiques.
Psychologies : Vous affirmez que la dépression est une chance, n'est-ce pas provocateur ?
Moussa Nabati : Oui, j’ai conscience que, dans notre culture hédoniste qui refuse d’en passer par la douleur, c’est un peu dérangeant. Mais mon hypothèse est que la dépression est une opportunité fantastique pour guérir une bonne fois pour toutes de ses blessures du passé. Entendons-nous bien : je ne dis pas que l’on a de la chance de faire une dépression, mais qu’elle peut être une chance…
Par quel mécanisme ?
Moussa Nabati : Contrairement à ce que l’on croit, la dépression n’est pas la conséquence du coup dur qui la déclenche – divorce, chômage,deuil – ici et maintenant. Cette épreuve vient réveiller une douleur non cicatrisée. La dépression à l’âge adulte entre toujours en écho avec une dépression infantile précoce qui vient refaire surface.
Que s’est-il passé dans l’enfance ?
Moussa Nabati : Les déprimés n’en ont pas eu ! Ils n’ont pas été aimés, choyés,soutenus comme ils auraient dû l’être. Or, l’enfant qu’ils étaient s’en est senti coupable, comme tout enfant mal aimé qui s’accuse des maltraitances qu’il subit. Il a refoulé cette culpabilité, a lutté contre sa déception pour continuer à grandir. À l’âge adulte, cette culpabilité va le pousser à s’autopunir en s’interdisant de goûter au bonheur. Il va encore faire passer les désirs d’autrui avant les siens, dans la tentative vaine de démontrer aux autres son « innocence ». Et puis,un beau jour, un abandon, une perte viennent briser toutes ses digues…
Pourtant, certaines personnes font des dépressions sans véritable facteur déclenchant…
Moussa Nabati : C’est vrai, ces personnes ont, apparemment, « tout pour être heureuses ». Mais elles aussi ont mis en place des défenses pour faire barrage à leur souffrance,en se battant pour réussir leur vie de famille, leur vie professionnelle. Paradoxalement, le jour où elles atteignent leur but, elles se retrouvent face à elles-mêmes, à leur douleur masquée par l’énergie dépensée pour ces réussites. Finalement, l’effondrement peut survenir aussi bien quand tout va mal que quand tout va bien,mais la cause reste la même.
Que faut-il, alors, pour que la dépression soit une chance ?
Moussa Nabati : La dépression va permettre de déposer cette arme du déni, qui a été efficace dans l’enfance pour ne pas sombrer, mais qui ne l’est plus. Quand nous tombons en dépression, c’est que nous sommes prêts psychiquement, nous nous sentons assez forts pour y faire face. Pour en faire une chance, il faut que la personne puisse l’accueillir pour ce qu’elle est : un message envoyé par l’inconscient, et non une maladie à éradiquer. Qu’elle accepte de s’occuper d’elle en effectuant un travail d’introspection, en revisitant son passé avec l’aide d’un analyste afin de comprendre ce qui s’est joué dans son enfance.
Mais cela ne fonctionne pas toujours, certains rechutent…
Moussa Nabati : Pour moi, ils n’ont pas fait ce travail analytique en profondeur, ils ont sans doute voulu aller trop vite pour aller mieux. De plus en plus de thérapies proposent de ne pas s’attarder sur son histoire, de regarder l’avenir en adoptant une pensée positive ; mais si l’enfant intérieur n’est pas soigné,la dépression rejaillira. Ce n’est pas en la niant qu’elle s’en va, mais en acceptant de la traverser. J’ajoute que si les médicaments sont une aide momentanée et indispensable pour soulager la souffrance, ils ne doivent pas remplacer l’analyse. Ce serait aussi peu performant que de se contenter d’antalgiques en cas de fracture ! Ne négligeons pas non plus le fait que certains y trouvent beaucoup de bénéfices secondaires : l’entourage s’occupe d’eux, les plaint… Inconsciemment, ils veulent parfois rester inconsolables.
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