vendredi 30 novembre 2012

"LES RITES SECRETS DES INDIENS SIOUX"


Selon Héhaka Sapa,« toute chose faite par un Indien est faite dans un cercle, et il en est ainsi parce que le Pouvoir de l'Univers agit toujours moyennant des cercles, et toute chose tend à être ronde. Dans les anciens jours, quand nous étions un peuple fort et heureux, toute notre puissance nous venait du cercle sacré de la nation, et aussi longtemps que le cercle demeurait entier, le peuple florissait. L'arbre fleuri était le centre vivant du cercle, et le cercle des quatre quartiers le nourrissait. L'Est donnait la paix et la lumière, le Sud la chaleur, l'Ouest la pluie, et le Nord, avec son vent froid et puissant, donnait la force et l'endurance. Cette connaissance vint à nous du Monde extérieur (le Monde transcendant, l'Univers), avec notre religion. Toute chose que fait le Pouvoir de l'Univers, Il le fait en forme de cercle. Le ciel est circulaire, et j'ai entendu que la terre est ronde comme une boule, et les étoiles, elles aussi, sont rondes. Le vent, dans sa plus grande force, tourbillonne. Les oiseaux font leurs nids en forme de cercles, car ils ont la même religion que nous ... Nos tentes (tipis) étaient circulaires comme les nids des oiseaux, et elles étaient toujours disposées en cercle, - le cercle de la nation, un nid fait de beaucoup de nids, où le Grand-Esprit voulait que nous couvions nos enfants. »!(Black Elk Speaks.)

Toutes les formes statiques de l'existence se trouvent ainsi déterminées par un archétype "concentrique", matériel ou mental ; centré dans son ego qualitatif,« totémique», presque impersonnel, l'indien tend vers l'indépendance, et par là vers l'indifférence, à l'égard du monde externe ; il s'entoure de silence comme d'un cercle magique, et ce silence est sacré parce qu'il véhicule les influences célestes. C'est de ce silence - dont le support naturel est la solitude - que l'indien tire sa force spirituelle ; sa prière ordinaire est muette : ce qu'elle exige, ce n'est pas une pensée, mais une conscience de l'Esprit et cette conscience est immédiate et informelle comme la voûte céleste.

Si le Grand-Esprit agit toujours par cercles », Il agit aussi, sous un autre rapport, toujours par quaternités », comme l'indiquent les directions spatiales et les cycles temporels, et alors le cercle devient svastika ; c'est pour cela que l'indien, dont la vie se déroule en quelque sorte entre le point central et l'espace illimité, accomplit les choses statiques selon le principe circulaire ou unitif, et les choses dynamiques -les actions -selon le principe quaternaire, c'est-à-dire, conformément aux quatre vertus cardinales qui pour lui sont le courage, la patience, la générosité et la fidélité. Cette structure profonde de la vie indienne signifie que l'homme rouge n'entend point se « fixer» sur cette terre où tout, selon la loi de stabilisation et aussi de condensation, voire de « pétrification », menace de se « cristalliser » ; et ceci explique l'aversion de l'indien pour les maisons et surtout celles en pierre, et aussi l'absence d'une écriture qui, d'après cette perspective, « fixerait » et « tuerait » le flux sacré de l'esprit. La civilisation européenne par contre, dans ses formes dynamiques comme dans ses formes statiques, est: foncièrement sédentaire et citadine : elle est donc ancrée dans l'espace et s'y étend quantitativement, tandis que la civilisation indienne a son pivot en quelque sorte en dehors de l'espace, dans le centre principiel, non-localisé ; son expansivité sera par conséquent « qualitative », en ce sens qu'elle n'est que mouvement pur, symbole de l'illimité, et non point délimitation quantitative, voire "mercantile" de l'étendue spatiale. Il importe du reste de préciser ici que le Christianisme, comme d'autres religions de l' « Ancien Monde », fixe le Céleste sur le plan terrestre et bâtit des sanctuaires dans la matière la plus statique, la pierre ; la tradition des Peaux-Rouges, de son côté, intègre le terrestre - le "spatial" si l'on veut - dans le Céleste omniprésent, et c'est pour cela que le sanctuaire du Peau-Rouge est partout ; c'est pour cela aussi que la terre doit rester intacte, vierge, sacrée comme elle est sortie des Mains divines, - car seules les choses pures reflètent l'Éternel • L'indien n'est point « panthéiste », mais il sait que le monde est mystérieusement plongé en Dieu.

Ce que nous venons de dire permettra de comprendre pourquoi la nature, - paysage, ciel, astre, éléments, animaux sauvages, - est un support nécessaire de la tradition des Peaux-Rouges, au même titre que les temples pour les autres religions ; toutes les limitations imposées à la nature par des œuvres artificielles, pesantes, inamovibles - et imposées à l'homme par son asservissement à ces œuvres - sont donc sacrilèges, voire « idolâtres », et portent en elles les germes de la mort• Il résulte de cette façon de voir que le destin des Peaux-Rouges est tragique au sens propre du terme : est tragique une situation sans issue qui résulte, non pas d'une cause fortuite, mais du heurt fatal de deux principes. L'écrasement de la race indienne est tragique parce que l'homme rouge ne pouvait que vaincre ou mourir ; il a succombé parce qu'il représentait un esprit incompatible avec le mercantilisme des « visages pâles >,. On pourrait définir ce drame immense comme la lutte, non seulement entre une civilisation marchande et matérialiste et une autre chevaleresque et spiritualiste, mais aussi entre la civilisation citadine - au sens strictement humain et péjoratif de ce terme, impliquant une idée d' «artifice» et de « servilité» - et le règne de la Nature, considérée, elle, comme le vêtement majestueux, pur, illimité, de l'Esprit divin • Or la Nature, dont l'Indien se sent comme l'incarnation et qui est en même temps son sanctuaire, finira par vaincre ce monde artificiel et sacrilège, car elle est le Vêtement, le Souffie, la Main même du Grand-Esprit.

FRITHJOF SCHUON.



 

Si je devais comparer Black Elk (Elan noir) à un contemporain, ce serait au dalaï-lama.

Chef spirituel de la nation sioux, il était membre de la tribu des Sioux Oglalas et vécut toute sa vie à Manderson, sur la réserve de Pine Ridge, dans le Dakota-du-Sud. A l’âge de 10 ans, il eut la « Grande Vision ». Elle se manifesta sous forme d’une « maladie initiatique » – un des modes connus de nomination des chamans (hommes-médecine) – au cours de laquelle il se vit désigné comme le représentant spirituel de notre monde. Expérience magnifiquement retranscrite par John G. Neihardt dans “Black Elk Speaks” (“Elan noir parle”) : parue au Etats-Unis en 1932, cette bible des Amérindiens permit enfin aux Blancs de comprendre une religion où se mêlent sacré et ordinaire, vision et réel. Comme le dalaï-lama, Black Elk avait la charge spirituelle de répandre le message de sa vision pour apporter harmonie et sérénité à son peuple.

« Quand nous serons brisés et que nous n’aurons plus de centre, l’Arbre sacré sera mort » : cette phrase est prémonitoire. Pour les Indiens, mais pas seulement. Elle nous exhorte à nous éveiller à une conscience enfouie depuis des siècles, à effectuer un retour vers notre culture ancestrale, pour redevenir nous-mêmes.

    Parfois, on en sait plus en rêve que lorsqu’on ne dort pas.

Pensées

Etre un Saint Homme
Chef cérémoniel des Sioux, Black Elk fut, par les pouvoirs que lui a conférés son expérience mystique, désigné saint homme (Holy Man), c’est-à-dire celui qui réunit tous les pouvoirs ordinairement dévolus aux hommes-médecine selon leur « spécialité ». L’homme-médecine des pierres exerce ses dons en communion avec l’univers minéral, première mémoire du monde. Ensuite vint le monde végétal : l’homme-médecine des plantes connaît toutes les plantes médicinales. Celui des rêves a le pouvoir d’interpréter les mondes oniriques et de soigner grâce à eux. Enfin, le voyant-guérisseur, par son pouvoir médiumnique, effectue des diagnostics, peut faire intervenir des forces spirituelles pour guérir et répond aux questions cruciales pour le devenir du peuple.

Rester un passeur
« J’ai guéri avec le pouvoir qui passait à travers moi. Ce n’était pas moi qui guérissais. Les visions avaient fait de moi un trou à travers lequel le pouvoir avait la possibilité de parvenir aux “deux-jambes” [les hommes]. » Black Elk put, en s’ouvrant totalement à Wakan Tanka (le Grand Esprit ou Dieu pour les Sioux lakotas (1)), guérir, retrouver des personnes disparues dans ce monde comme dans l’autre, soulager des souffrances morales. Par la transe, il avait les moyens de vivre concrètement une expérience mystique, véritable engagement entre lui et les puissances qui lui avaient confié le pouvoir, mais aussi entre lui et les siens. Malgré les pressions terribles exercées sur les Indiens pour qu’ils rompent avec leurs traditions, Black Elk put relever tous les défis et résister à toute atteinte grave au patrimoine religieux des Sioux.
 Les Lakotas (qui comprennent, entre autres, les Oglalas) sont les Sioux de l’ouest.

Purifier corps et esprit
La loge de sudation est considérée comme indispensable à une bonne hygiène physique et spirituelle. Pratique séculaire, c’est un rite préparatoire aux cérémonies. Dans le noir complet, autour de pierres aspergées d’eau bouillante, on pratique la purification du corps. Une sorte de « hammam » spirituel. Mais les rites peuvent aussi viser à la purification de l’esprit. Les participants entrent alors en contact avec les quatre éléments : l’eau, le feu, le minéral et l’air. La sudation est à la portée de tous et, selon la recommandation de Black Elk, elle peut être effectuée sans motif.

Rencontrer son identité spirituelle
La danse du Soleil a lieu à la fin du printemps ou au début de l’été. Danse initiatique, c’est une sorte d’offrande qui permet d’aller à la rencontre de son identité spirituelle, de communier avec l’Etre suprême par le don de soi. Dans la vie d’un homme, c’est un moment de consécration unique. Comme tous les rites, elle a des règles complexes, mais celles-ci sont la forme visible qui permettent la manifestation du sacré.

Respecter la Terre-Mère
Dans la Grande Vision, Black Elk perçut quelque chose dont l’importance s’est renforcée au fur et à mesure des années : la Pipe sacrée, symbole liturgique de la Création, de la Terre-Mère, Maka, productrice de tout ce qui vit, croît. Cet objet fait le lien entre notre monde et le monde spirituel. Il rappelle aux humains les préceptes de Wakan Tanka, dont le respect de toute forme de vie. Chaque élément de la nature est un symbole sacré pour les Sioux, et leur rapport au monde s’accorde aux cycles de la nature.
Dates

    1863 : naissance sur la Little Powder River (Wyoming), aux Etats-Unis.
    1873 : Black Elk reçoit sa vision des Etres-Tonnerre.

    1881 : dirige une cérémonie heyoka des Rêveurs-du-Tonnerre et fait connaître publiquement son engagement dans la voie spirituelle.
    1882 : se marie avec Katie War Bonnet.

    1887 : départ vers New York puis en Angleterre avec le Wild West Show de Buffalo Bill.
    1930 : première rencontre avec John G. Neihardt, avec qui il écrira “Elan noir parle”.

    1947 : durant huit mois, délivre des enseignements à Joseph Epes Brown, qui donneront “Les Rites secrets des Indiens sioux”.

    1950 : meurt le 19 août, à Manderson.

A lire

Elan noir parle, de John G. Neihardt. Depuis la bataille de Little Big Horn jusqu’au massacre de Wounded Knee, toute l’histoire de Black Elk (10/18, 2000).

Les Rites secrets des Indiens sioux, de Joseph Epes Brown. Les traditions et l’héritage culturel des Indiens racontés par Black Elk (Editions du Rocher, 2002).

Le Sixième Grand-Père, de Black Elk et Raymond J. DeMallie. La vie et la parole de l’Indien légendaire transportent le lecteur dans l’histoire et l’identité de la civilisation sioux (Editions du Rocher, 2001).

Les Indiens des Plaines, de Daniel Dubois et Yves Berger. Une véritable encyclopédie des coutumes, de la religion et de l’origine de chaque tribu indienne de l’Amérique du Nord (Editions du Rocher, 2001).


source:psychologies.com

vendredi 16 novembre 2012

"KRISHNAMURTI OU L'HOMME DE L'ARBRE"

forêt de Vizzavona

Krishnamurti (1895-1986) est le philosophe et sage d'origine hindoue, mais largement transculturel, qui a le mieux parlé des rapports intrinsèques de l'homme avec son environnement.

Sans relation avec la nature, l'être humain meurt à sa relation au monde et aux autres. Je vais tenter, dans cet article, de montrer que la vision du monde de Krishnamurti est parfaitement conforme à son amour de la nature. L'une ne va pas sans l'autre.

Après avoir décrit qui est Krishnamurti et pourquoi je m'intéresse à ce philosophe, j'ouvrirai l'interrogation concernant Krishnamurti et la nature.

Dans une première partie je considérerai Krishnamurti, la nature et la vie, en montrant en quoi l'imaginaire nous empêche d'être en contact avec la nature sans laquelle, cependant, il n'y a pas d'amour possible.

Une deuxième partie me permettra de développer le rapport entre la voie naturelle et la voie religieuse. Dès lors que nous savons rencontrer la nature, nous découvrons la valeur du silence et de la solitude. Bientôt nous nous ouvrons sur la vision pénétrante et la méditation par lesquelles la transformation intérieure est constatée tôt ou tard.

La troisième partie nous entraînera vers l'univers de ce rapport au monde de l'homme relié, c'est à dire de l'homme complètement ouvert à l'amour de la vie et de la nature, avec ses effets sur le plan éducatifs.


Introduction

Qui est Jiddu Krishnamurti ?

Il est né à Madanapalle, près de Madras et de Bangalore, en mai 1895 et il est mort en février 1986 à Ojaï en Californie.

Toute sa vie a été consacrée à un enseignement dialogué visant la question du sens de l'éducation. Que veut dire éduquer ? apprendre ? devenir un être humain ? Que veut-on dire lorsque l'on parle d'homme "religieux" ? Qu'est-ce que l'autorité ? Pourquoi avons-nous toujours besoin d'un maître spirituel ? De quoi est faite notre peur ? Qu'est-ce que l'intelligence ?

Toutes ces questions parcourent l'oeuvre de Krishnamurti et intéressent au plus haut point tout éducateur, tout parent, tout professeur.

Krishnamurti va répondre à ce questionnement par l'épreuve d'une vie exemplaire.

Après une enfance pauvre, mais non miséreuse, de fils de famille brahmine, il sera distingué très jeune par un des pionniers de la Société théosophique, Charles Webster Leadbeater, pour être le "véhicule", c'est à dire l'enveloppe corporelle du futur Instructeur du Monde (Maïtreya). La Société théosophique proposait une synthèse des spiritualités orientales et Krishnamurti correspondait à son attente. Il est alors soustrait, avec son jeune frère Nitya, à l'influence paternelle et les deux enfants sont éduqués, à l'anglaise, par la Société théosophique dont la présidente, Annie Besant, était d'une haute stature spirituelle. Malgré des études quasi insignifiantes, Krishnamurti deviendra un très grand orateur sur l'éducation et parlera à travers le monde entier devant des milliers de personnes des années 1920 à la moitié des années 1980. Il touchera ainsi plus d'un être humain qui, par cette rencontre, en sortira transformé et porteur d'une interrogation radicale sur le sens de la vie.

Krishnamurti s'affirmera bientôt en se dégageant de l'emprise, de la violence symbolique, de la Société théosophique, en 1929, à Ommen, lors d'une célèbre conférence. Il soutiendra désormais que la vérité est un pays sans chemin et qu'aucun groupe, aucune secte, aucun maître spirituel, ne peut aider quiconque à découvrir la vérité, c'est à dire, le véritable sens de la vie.

A partir de cette époque et sans rompre, en particulier, avec sa mère spirituelle Annie Besant, Krishnamurti développe sa vision du monde en maîtrisant de plus en plus son langage, comme l'a fait remarquer Yvon Achard dans sa thèse en 1968.

Comme Yvon Achard, je le découvre vers la moitié des années 1960 par le biais des quelques livres édités à cette époque. Je ne le rencontrerai jamais mais je resterai, cependant, marqué à tout jamais par sa philosophie de la vie. Il deviendra pour moi "l'homme de l'arbre"; celui qui sait l'importance de "l'arbre-maître" comme le nomme Mario Mercier, un Français un peu chaman contemporain, qui prétend avoir été quasiment initié par Noïark, un magnifique arbre de nos forêts de la région parisienne.


1. Krishnamurti et le sens de la nature

Krishnamurti possède un sens aigu de la nature. Il l'intègre complètement dans sa vie quotidienne. Presque chaque jour il marchait ainsi pendant une heure dans la nature. On le voyait à Saanen, en Suisse, parcourir les chemins désertés de la montagne. Il se désolait, lorsque, contraint d'être en ville (à Paris notamment), il ne pouvait pas goûter la compagnie des arbres. Il ne fut jamais plus heureux que pendant ces quelques mois de solitude, aux Etats-Unis, où en compagnie de son frère Nitya, il put marcher librement dans la campagne.

Si je nomme Krishnamurti "l'homme de l'arbre" c'est parce qu'il prend très souvent l'exemple de l'arbre pour tenter de faire comprendre le sens de l'attention à la nature et plus généralement au monde.

Ainsi dans De la nature et de l'environnement, (1994), ouvrage dont je me servirai plusieurs fois dans cet article, il écrit :

Près de la rivière, il y a un arbre que nous avons regardé jour après jour, pendant plusieurs semaines, au lever du soleil...Vers le soir, quand le soleil couchant illumine l'ouest, l'arbre peu à peu s'assombrit, se referme sur lui-même. Le ciel est rouge, jaune, vert, mais l'arbre reste silencieux, retranché, il se repose pour la nuit.

Si vous établissez un rapport avec lui, vous êtes en rapport avec l'humanité. Vous devenez responsable de cet arbre et de tous les arbres du monde. Si vous n'êtes pas en relation avec les êtres vivants de la terre, vous risquez de perdre votre rapport à l'humanité, aux êtres humains.( p.104)

Pour Krishnamurti, être en rapport avec l'arbre, ce n'est pas entrer dans des classifications, dans des nominations : c'est un hêtre, un chêne, un jeune poivrier, etc... encore moins d'une analyse scientifique de la nature. Il s'agit plutôt d'une rencontre avec un être vivant, d'une coparticipation en quelque sorte, à la vie que nous portons en nous. Il en sera toujours ainsi pour lui lorsqu'il entre en relation avec un paysage, un animal ou un être humain.


Krishnamurti, la nature et la vie

Qu'est-ce que la nature pour notre sage ? Ne tombe-t-il pas dans les rets d'une idéologisation de la nature, si prégnante du Romantisme à l'Ecologisme, en particulier dans ce que l'on nomme aujourd'hui "l'écologie profonde" ?

La nature, en tant qu'être vivant, faisant partie du Grand Vivant, est d'abord ce qui s'oppose, instinctivement, aux engluements du passé et de la mémoire. Si l'instinct répète, il le fait dans une mouvance qui est toujours de l'ordre de la création universelle. L'être naturel ne construit pas de savoir sur les choses. Il ne s'empètre pas dans des représentations qui l'éloigneraient du contact immédiat avec ce qui est, pour le meilleur ou pour le pire. Si le vautour attend encore avant de fondre sur le rat des champs qu'il observe, ce n'est pas par réflexion ni représentation imagée. Seul l'instinct lié au devenir même de la vie d'instant en instant, lui commande de ne rien faire. Une seconde après, il tombera soudainement sur sa proie innocente. Une minute plus tard, peut-être succombera-t-il lui-même sous les balles d'un chasseur illégitime ?

Qu'est-ce que la nature ?

La nature fait partie de notre vie. Nous sommes issus de la graine et de la terre et nous faisons partie de tout cela mais nous oublions vite que nous sommes des animaux comme les autres. Pouvez-vous être sensible à cet arbre, le regarder, en voir la beauté, écouter le son qu'il produit, être sensible à la moindre petite plante, à la moindre mauvaise herbe, à cette vigne vierge qui monte le long du mur, aux jeux de lumière et d'ombre sur les feuilles ? Il faut être conscient de tout cela et éprouver un sentiment de communion avec la nature qui nous entoure. (1994, p.71)

L'homme ne sait contempler la nature parce qu'il projette sans cesse les images de sa détresse ou de sa volonté de maîtrise sur elle. Ses représentations embourbent la nature dans un calcul utilitaire et fonctionnel. La nature n'a aucun droit bien qu'elle soit l'expression du vivant. L'homme lui impose sa toute puissance désastreuse. Il ne se contente pas de l'aménager ("l'aménagement du territoire" comme disent les technocrates), il la détruit systématiquement, au nom de la survie humaine (dans certaines régions sous-développées) ou au nom du profit de quelques uns.

Pour cela il nous faut passer par la pensée, par l'image. Sans elles nous serions capables de nous rendre compte du mal que nous infligeons à la nature. Avec la pensée nous rationalisons nos comportements en les situant dans un "ordre des choses" que d'aucuns nomment le "réalisme" lorsqu'ils sont soumis au feu critique des poètes.

Lorsqu'on est capable de voir sans préjugés une image, quelle qu'elle soit, alors seulement peut-on entrer en contact direct avec ce que présente la vie. Tous nos rapports sont imaginaires, en ce sens qu'ils s'établissent sur des images que forme la pensée. (1994, p. 63).

Les images éliminent l'amour authentique et notre rage de tuer, de détruire, s'en donne à coeur joie. Saccager la nature devient un jeu non seulement d'enfant mais d'adulte. En juillet 1995, dans une province française assez sèche mais où l'on fabrique du vin de qualité, un inconnu n'a pas trouvé mieux que de gaspiller l'eau précieuse d'un vieux village en ouvrant les vannes d'un petit barrage. Ailleurs on jette allégrement le mazout des cuves de pétrolier dans les eaux du large à moins que l'on stocke des déchets nucléaires dans les fonds sous-marins ou dans des décharges proches de nappes phréatiques. Les êtres humains aiment tuer comme le remarque Krishnamurti.

Les être humains aiment tuer, soit les autres humains, soit les animaux qu'il s'agisse d'un daim des forêts aux grands yeux inoffensifs, ou d'un tigre venant d'attaquer le bétail. On écrase délibérément un serpent sur la route, on prend au piège les loups ou les coyotes. Des gens très bien vêtus et très gais s'en vont avec leurs précieux fusils tuer des oiseaux qui, l'instant d'avant, chantaient encore. Un jeune garçon tue un geai bleu caquetant avec un revolver à plomb et parmi ses aînés, nul n'a le moindre mot de pitié, et personne ne le gronde ; tous, au contraire, le félicitent d'être si fin tireur. (1994, p. 53)

Cette attitude est quasi permanente en Occident. Elle est acquise et développée par notre culture de domination et de compétition. Nous avons beaucoup à gagner dans la rencontre interculturelle à cet égard. L'Orient semble posséder une autre sagesse.

Pour l'Occidental, les animaux n'existent qu'en fonction de son estomac, ou en vue du plaisir de tuer, ou simplement pour la fourrure qu'ils procurent. Et à l'Oriental, on enseigne depuis des siècles, à travers des générations, de ne pas tuer, d'avoir pitié et compassion envers les animaux. (1994, p. 53)

Seul le poète peut nous questionner, du fond de notre propre culture, sur le mystère de l'assassinat d'une alouette en plein vol, comme l'écrit René Char :

Fascinante, on la tue en l'émerveillant

Et ce n'est peut-être pas pour rien que François d'Assise ou le poète O. de L. Milocz avaient l'écoute des oiseaux.

Quand apprendra-t-on à voir la grâce et la formidable puissance de la nature, par le biais de la multitude de ses créatures ?

Krishnamurti, un jour, à été touché par la puissance féline d'un tigre mangeur d'homme en Inde.

C'était un très grand animal, superbement strié. Ses yeux étincelaient dans la lumière des phares. Il s'approcha de la voiture en grondant et se glissa tout près de la main tendue, quand l'hôte dit : "Ne le touchez pas, il est trop dangereux, faites vite, il est plus rapide que votre main". Mais l'on sentait cette énergie, cette vitalité de l'animal, une vraie dynamo. On ressentait à son passage une étrange attirance. Puis il disparut dans les bois (1994, p. 92).

Krishnamurti a eu envie de toucher, de caresser le merveilleux animal. Il n'avait aucune peur. Il était en communion parfaite avec cette masse vitale et odorante qui frôlait la voiture. Aurait-il été mordu si ses amis ne l'avaient pas préservé ? Nous ne le saurons jamais. Mais gageons que sans la peur de l'un la peur de l'autre a peu de chance de se développer. Krishnamurti était sans peur et plus encore, il était le tigre même. Comment le tigre aurait-il l'instinct de se dévorer lui-même ?


2. La voie naturelle comme voie religieuse

J'entends ici par "religieux" une aptitude suprasensible à être relié personnellement au réel, c'est à dire à tout ce qui est, en dehors de tous dogmes, institutions, spécialistes du sacré.

Comment rencontrer réellement la nature ? Peut-elle devenir une voie de développement spirituel ? Comment faire coeur avec l'arbre, avec l'oiseau, avec le serpent ? avec l'herbe des prairie, avec la montagne enneigée, avec l'océan étincellant ?

La première chose consiste à se dégager des mots, à désapprendre à parler selon le langage codé de la société.

Refuser de classer, de nommer, d'imaginer.

Vous pouvez empiler des mots, en faire une guirlande, comme c'est le cas pour la plupart d'entre nous, et vivre de mots, mais les mots sont cendres, ils ne donnent pas vie à la beauté, ils ne vous donnent pas d'amour et si vous vous contentez d'écouter une série d'idées ou de mots, je crains que vous ne partiez les mains vides

dit Krishnamurti à ses interlocuteurs (1994, p. 83).

Avec la pensée, avec les mots, nous maintenons le conflit en permanence. Or, jamais nous ne pouvons aimer et voir ce qui est dans le conflit. Jamais nous ne rencontrons vraiment ce que veut dire la liberté. Krishnamurti, sur ce point, est loin d'un existentialisme sartrien alors qu'à d'autres moments il semble en être plus proche, comme le montre René Fouéré (1985). Le choix n'est pas une preuve de la liberté mais son contraire. La liberté ne résulte pas du choix. Le vécu de la liberté nous conduit à ne pas avoir besoin de choisir car l'esprit libre est également l'esprit qui ne fait qu'un avec ce qui est et qui, ipso facto, trouve dans l'instant, d'une manière quasi spontanée, l'acte et la parole justes en fonction de la situation. En s'observant il peut constater les facteurs clés de tout conflit

Le conflit naît essentiellement de la différence entre l'action réelle et ce qu'elle devrait être (1994, p. 86)

La rencontre avec la nature implique un éveil de l'intelligence c'est à dire une suspension non intentionnelle de la toute puissance de l'ego discursif, rationalisant et imaginatif.

Il s'agit d'écouter/voir en laissant sa culture au vestiaire. Ecouter/voir sans projet, sans intention particulière. Ecouter/voir en demeurant dans la présence à ce qui est en dehors de toute rêverie. Contempler une rose ne saurait être de la même veine que de regarder un film, même très attractif. Le film fait partie du registre de la création imaginaire et peut être apprécié en tant que tel. Il est malgré tout de l'ordre de l'objet inerte, sans aucune interactivité. La fleur, elle, réagit à notre approche, à notre regard. Elle se rétracte si notre intention est de la détruire. S'épanouit-elle encore un peu plus si nous n'avons absolument aucun projet sur elle, si ce n'est d'apprécier le charme de ses couleurs, la subtilité de son parfum ? Et que dire alors d'un être humain qui écoute immédiatement dans ce que les psychanalystes nomment l'inconscient, la pulsion de mort de celui qui prétend entrer en communication ? Il faudrait savoir approcher un être humain comme on frôle une rose sans l'arracher, comme on laisse s'éventer un parterre de coquelicots si fragiles sous la brise. A ce moment seulement la liberté s'éprouve entre deux êtres. Et avec elle la rencontre dans l'amour.

L'esprit peut-il être libéré de tout ce conditionnement ?..Je suis conditionné par une culture qui existe depuis des milliers d'années...Les cellules du cerveau peuvent-elles se libérer du conditionnement de l'observateur, d'une entité conformiste, conditionnée par l'environnement, la culture, la famille, la race ?...Puis-je regarder avec des yeux qui n'ont jamais été touchés par le passé ? Etre sain, c'est cela. Pouvez-vous regarder le nuage, l'arbre, votre femme, votre mari, votre ami sans images ?...Pouvez-vous écouter sans interprétation, comparaison, jugement ou évaluation ? Ecouter cette brise, ce vent, sans l'interférence du passé ? (1994, p. 100)

Alors surgit la surprise de la rencontre et toute notre ignorance antérieure.

Nous n'observons jamais profondément la qualité d'un arbre, nous ne le touchons jamais pour sentir sa solidité, la rugosité de son écorce, pour écouter le bruit qui lui est propre. Non pas le bruit du vent dans les feuilles, ni la brise du matin qui les fait bruisser, mais un son propre, le son du tronc et le son silencieux des racines. Il faut être extrêmement sensible pour entendre ce son. Ce n'est pas le bruit du monde, du bavardage de la pensée, ni celui des querelles humaines et des guerres, mais le son propre de l'univers (1994, p. 104)

Cette attitude d'abandon du moi, de l'ego, nous ouvre à la dimension de la vacuité par laquelle une nouvelle connaissance est engendrée. En faire l'expérience est une ressource humaine inégalée. Sans elle comment comprendre vraiment ce qu'est le monde, ce qu'est un être humain ?

Il est probable que nous ressentons tous plus ou moins la nécessité de vivre cette dimension de l'être. D'où la multitude un peu charlatanesque de techniques de méditation proposées en Occident, sans compter le vaste marché des biens de salut qui nous dispensent éventuellement de vivre notre vie en l'étouffant sous la maîtrise d'un autre nommé "gourou". On sait que Krishnamurti a été féroce à cet égard. Aucun gourou, aucune technique, n'ont de sens dans la relation que nous pouvons avoir avec la réalité du monde.

Nous sommes complètement responsables de notre éveil qui demeure dans les brumes de notre existence comme le soleil reste présent bien que caché par les nuages. Il nous faut voir les événements de notre vie comme des nuages en sachant que derrière ceux-ci le bleu du ciel nous attend parce qu'il n'est jamais parti.

Se rendre compte de cela, en devenir conscient est l'essence même de la joie définitive appartenant à la non-dualité.

La présence attentive et permanente au monde qui en résulte débouche sur la beauté, la tendresse et l'amour d'une vie toujours neuve.

La nature fait partie de notre vie. ...Pouvez-vous être sensible à cet arbre, le regarder, en voir la beauté, écouter le son qu'il produit, être sensible à la moindre petite plante, à la moindre mauvaise herbe, à cette vigne vierge qui monte le long du mur, aux jeux de la lumière et d'ombre sur les feuilles ?...Sentez que vous faites partie de tout cela et de tout ce qui vit. Si vous maltraitez la nature, c'est vous-même que vous maltraitez ...Observez, regardez comme si vous le faisiez pour la première fois. Si vous pouvez le faire, alors c'est la première fois que vous voyez cet arbre, ce buisson, ce brin d'herbe....C'est là une sensation extraordinaire : l'émerveillement, la fraîcheur, le miracle d'un nouveau matin qui n'a jamais existé auparavant et n'existera jamais plus...S'il existe une telle communion entre vous et la nature, alors, vous pouvez communier avec l'homme, avec le garçon assis près de vous, avec votre professeur ou avec vos parents (1994, p. 71-73)


3. Les retombées pédagogiques d'une attitude de reliance


A l'issue de cette brève exploration du sens de la nature chez Krishnamurti que peut-on dire en pédagogie, dans la mesure où cette voie nous semble essentielle ?

Il nous faudra d'abord apprendre à désapprendre. Savoir oublier et nous vider pour pouvoir recueillir et créer.

Il nous faudra entrer dans le lâcher-prise à l'égard des formes multiples du pouvoir, de l'avoir et du savoir. Passer au travers sans y adhérer. Se sentir responsable et assumer des responsabilités le cas échéant sans devenir imbu de soi-même et de respectabilité. Partir à l'aventure et savoir rester chez soi s'il le faut avec la même énergie tranquille. Ecouter/voir avec toute sa sensibilité, la complexité humaine dans ses multiples facettes, tonitruantes et silencieuses, secrètes et spectaculaires, monstrueuses de haine déployée et merveilleuses de bonté sereine. Etre dans la subtilité de l'Un sous le fracas du multiple.

Rester dans la présence pour se sentir vivre dans le silence intérieur et dans la solitude à chaque instant et dans chaque situation.

La beauté réside dans le total abandon de l'observateur et de l'observé, et cet abandon de soi n'est possible qu'en un état d'austérité absolue. Ce n'est pas l'austérité du prêtre avec sa dureté, ses sanction, ses règles, son obédience...Supposez que vous vous promeniez seul, ou en compagnie, que vous ayez cessé de parler et que vous soyez plongé dans la nature...Cet état de silence, à la fois de l'observateur et de l'observé, lorsque le témoin ne traduit pas en pensées ce qu'il observe, ce silence dégage une beauté d'une qualité particulière d'où la nature et l'observateur sont exclus, mais un état d'esprit, entièrement, complètement seul : seul, non isolé, seul en une immobilité qui est beauté (1994, p.62-63)

Se souvenir que nous avons besoin de la nature et y faire quelques détours au bon moment, lorsque nous nous voyons partir en dérive vers le bruit catastrophique,l'agitation insignifiante.

Lorsque le superficiel me fatigue, il me fatigue tant que pour me reposer j'ai besoin d'un abîme

écrit le poète argentin Antonio Porchia dans Voix (1979).

Ne jamais oublier le sens de la création selon Krishnamurti, qui puise son regard dans le mouvement même de la nature et de la vie, qui est également amour et mort. La création au delà de toutes les techniques de créativité à dominante fonctionnelle et utilitariste. La création qui est de l'ordre du poétique car, comme l'affirme René Char (1983) :

A chaque effondrement des preuves,

le poète répond par une salve d'avenir.



Bibliographie



Achard Y. (1968), Le langage de Krishnamurti, Paris, Le courrier du livre

Char R., (1983) Oeuvres complètes , Paris, Gallimard, La Pléiade

Fouéré R., (1985), La révolution du réel. Krishnamurti, Paris; Le courrier du livre

Krishnamurti J. (1994), De la nature et de l'environnement, Paris, Editions du Rocher

Mercier M. (1989), L'Enseignement de l'arbre-maître, Paris, A.Michel

Porchia A., (1979), Voix, Fayard





samedi 10 novembre 2012

"LE SILENCE QUI GUERIT"


C’était au mois d’août, en 2003. La journée avait débuté comme n’importe quelle journée d’été. Mon fils était sorti, j’étais seule à la maison, à m’occuper de choses et d’autres. Et puis voilà que je l’ai remarqué…

Remarqué quoi ?
C’était comme un silence dans ma tête. Oui : un silence frappant… Où étaient passées mes pensées ?… Il y avait cet espace, cet intervalle entre les pensées qui les faisait passer au second plan. Comme si elles ne m’appartenaient plus ou, en tout cas, n’avaient plus de pouvoir sur moi. Je sentais une légèreté, un bien-être, l’impression d’être en phase, connectée avec moi-même comme je ne l’avais jamais été. Connectée à quelque chose d’inexplicable, d’inexprimable : ce silence…
Je me suis demandé ce qui m’arrivait. Et j’ai commencé d’observer.

Et ?…
Ce que je ressentais, c’était une modification de mon fonctionnement intérieur. À la vitesse de l’éclair, quelque chose m’était tombé dessus. Quelque chose que je n’avais pas vu arriver. Pas même s’installer. Et cette « chose » qu’aucun mot ne peut décrire avait pris le pouvoir sur tout.

Tu n’as rien vu arriver ?
Rien. Je n’ai pu que constater que tout était différent… Sur le moment, c’est ce silence qui m’a frappée. Dans les jours qui ont suivi, je me suis rendu compte que je ne vivais plus les choses comme avant. Les mille détails qui, dans une journée, m’agaçaient, une porte qui claque, les clefs qui disparaissent juste comme on s’apprête à sortir, une préoccupation ou une autre, tous ces micro-événements qui m’agaçaient en permanence sans même que je le remarque : tout ça ne me dérangeait plus. Je constatais : tiens, la porte est mal fermée, les clés ne sont pas dans ma poche… J’allais fermer la porte, je me mettais à chercher les clés… et je ne trouvais rien à y redire. Les choses étaient ce qu’elles étaient. Ma façon de les percevoir, d’y réagir, avait changé.

Tu ne réagissais plus, en fait ?
Voilà, je ne réagissais plus. Parce qu’il y avait ce silence, cette tranquillité qui était là, qui m’envahissait toute, et me laissait telle qu’était la situation.
Les premiers temps, j’ai regardé ça toute seule, au fond de moi, en me demandant ce que ça pouvait bien être… Comme je venais de fêter mes 40 ans, je me suis dit : « c’est formidable d’arriver à 40 ans! je me sens enfin en phase avec moi-même! je me sens si légère, si bien… »

Tu as mis ça sur le compte de la quarantaine, vraiment ?!
Oui, je me suis dit ça au début. Mais quand j’ai commencé à évoquer ce que je vivais autour de moi, je me suis aperçue que, même passé 40 ans, les gens ne ressentaient pas ce que je ressentais, ils n’avaient pas ce point de vue que j’avais.
Je n’avais que des amis très cartésiens. Tous étaient pris, comme moi, par la vie active. Pas plus que moi ils ne s’étaient posé de questions métaphysiques ni n’avaient ouvert un livre
« spirituel » ou de développement personnel… Ils m’avaient toujours connue très speed : à peine arrivée quelque part je voulais déjà être ailleurs. Et là ils me voyaient posée, tranquille tout d’un coup, sereine. Alors ils se réjouissaient pour moi.

« Tant mieux, tu as l’air bien », disaient-ils. Mais ils n’en savaient pas davantage sur ce que je vivais. Et moi non plus.
C’est là que je me suis interrogée sur ce qui pouvait bien se passer dans l’invisible, sur ce qui se passait à l’intérieur de soi. J’ai commencé à me renseigner, à entrer dans des librairies, à chercher des livres qui, peut-être, m’expliqueraient un peu ce que je vivais…

Dans vos paroles vous témoignez d’une ouverture soudaine sans référence ou recherche spirituelles longues. Quelles ont été les circonstances de cet éveil ?
Un instant a suffit pour voir que tout ce que je croyais être je ne le suis pas. J’ai découvert par moi-même ma véritable nature et depuis je suis dans un étonnement profond.

Pouvez-vous nous décrire ce qui a été ressenti pendant cet instant où l’éveil est survenu ?
Une évidence absolue qui a prie le pouvoir sur tout ce que je croyais être.
Une force qui a pris le pouvoir sur les trois états (veille, sommeil et rêves) et tout leur contenu.
C’est la force la plus puissante de l’univers. LE SILENCE GUÉRIT. Ma vision a changé du tout au tout.
Ce n’est plus moi qui vois avec les yeux de mon corps mais c’est le silence qui voit.
C’est un état constant libre de penser. En un mot, ma véritable nature n’est pas de penser mais de voir ce corps et ses sens jouer leurs rôles.

Que voyez- vous de différent ?
En fait avant mon attention était focalisée sur le monde et depuis cette rencontre l’attention est focalisée sur LE SILENCE. Donc, que j’ai les yeux ouvert ou fermés, je vois que cela.

Quel est votre enseignement ?

L’enseignement de Yolande n’est que l’expression de sa propre expérience et de sa réalisation.
Une personne réalisée utilise son propre langage.

LE SILENCE est le meilleur langage.
LE SILENCE est le véritable enseignement.
LE SILENCE est ma seule référence.
Dans le silence de nos rencontres, laissons-nous guider par le pouvoir du Silence.



LE SILENCE GUÉRIT
Yolande Duran-Serrano et Laurence Vidal
Éditions Almora


Printemps 2008 : deux femmes se rencontrent.

L’une, Yolande, vit depuis cinq années une expérience indicible, basculement soudain, éternellement répété, de tout son être au tréfonds de l’Être. Cet état – ce non état – se manifeste par un silence intense, un vide, une plénitude à la fois si extraordinaires et si simples qu’elle n’a longtemps pas eu de mots pour le dire. Étonnée d’abord, puis de plus en plus amoureuse de « cette chose » en elle qui a pris le pouvoir sur tout, Yolande se laisse guider, enseigner par elle. Et ressent de plus en plus le goût de partager ce Silence, cette manière d’être au monde empreinte de légèreté et de simplicité.

L’autre, Laurence, autrefois journaliste, se consacre à l’écriture, à la pratique du yoga et à la fréquentation des textes inspirés, qu’ils soient de métaphysique non duelle ou de mystique chrétienne et soufie.

Entre Yolande et Laurence, l’idée d’un livre germe. Elles ont du temps toutes deux, s’abandonnent au hasard providentiel de leurs conversations et de leur amitié naissante. Les mois passent… bientôt une année… Le Silence guérit en est le fruit.

À la fois tentative de dire cet indicible qu’on appelle l’Éveil et regard du témoin, Laurence, qui donne à voir Yolande dans sa vie de tous les jours et se trouve elle-même gagnée par des espaces de présence silencieuse, ce livre à quatre mains fait se tenir côte à côte une vie touchée par la grâce, une autre par l’espérance. Hors de tout courant spirituel ou religieux, puisque né d’une Libération intérieure spontanée, il témoigne du saisissement par l’ultime Réalité de soi-même et de tout. Saisissement, Silence qui est « l’ultime guérison, puisqu’il guérit de l’idée d’être une personne… »

Merci à Yolande et à Laurence pour leurs témoignages émouvants.