jeudi 19 mars 2009

"LA VOIE DE LA CONNAISSANCE"


Imprégné de sagesse traditionnelle Toltèque dès son plus jeune âge, Miguel Ruiz a commencé sa quête intérieure lors de ses études de médecine. Il nous parle ici du processus d’ouverture à la vision spirituelle, source de toute connaissance réelle.

Un accident de voiture, qui fut si grave que je faillis perdre la vie, fut une autre occasion qui me fut offerte de rencontrer la vérité. Il n’y a pas de mots pour expliquer ce que j’ai éprouvé, mais la vérité rendit évident que ce en quoi je croyais était un mensonge. Comme la plupart des gens, je croyais que j’étais mon mental, mon corps physique. Je vis dans mon corps physique; c’est ma demeure, et je peux la toucher. Dans mon expérience du seuil de la mort, je pouvais voir mon corps physique endormi au volant de ma voiture. Si je percevais mon corps physique de l’extérieur de mon corps, il était évident que je n’étais pas mon mental, ni mon corps physique. La question devint alors : Qui suis Je ? À partir du moment où je fis ce face à face avec la mort, je commençai à percevoir une autre réalité. Mon attention s’élargit tant qu’il n’y eut plus ni futur ni passé; il y avait seulement le maintenant éternel. La lumière était partout, et tout était plein de lumière. Je pouvais sentir ma perception traverser ces différentes réalités, jusqu’à ce que je recouvre l’attention, et sois en mesure de me concentrer sur un univers à la fois. J’étais dans la lumière, et c’était un moment de conscience totale, de perception pure. A un certain moment, je sus que la lumière a toute l’information au sujet de toute chose, et que tout est vivant. Je peux dire que j’étais avec Dieu, que j’étais dans la béatitude, que j’étais dans un état d’extase, mais ce ne sont que des mots que je connais.

Après l’accident, ma perception du monde changea encore, parce que je savais, d’une façon plus que théorique, que je ne suis pas ce corps physique. Et je commençai une quête qui était différente de ma quête avant l’accident.

Avant l’accident, le cherchais la perfection, une image pour satisfaire le personnage principal de mon histoire. Après l’accident, je sus que ce que je cherchais était quelque chose que j’avais perdu : moi-même.

Après cette expérience, je ne fus plus le même, parce que je ne pouvais plus croire à mon histoire. J’avais besoin de beaucoup de réponses, et je me mis à lire toutes sortes de livres pour les trouver. Certaines personnes décrivaient une expérience semblable, mais pratiquement personne ne pouvait expliquer ce qui était arrivé. Je terminai mes études de médecine, revins à la maison, et allai voir directement mon grand-père, pour lui raconter mon expérience. Il se mit à rire et dit : «Je savais que la vie te ferait voir la vérité avec la méthode forte. Et c’est ce qui t’est arrivé, parce que tu as toujours été obstiné.»

D’abord, il fut difficile de fonctionner dans la réalité ordinaire; surtout dans un hôpital, exerçant la fonction de médecin. J’avais l’impression que rien n’avait de sens, mais, à certains égards, je fonctionnais mieux. C’est comme si je pouvais voir deux réalités en même temps. Je pouvais voir ce qui est vraiment, mais je pouvais voir aussi les histoires. Et, à un certain moment, ce fut un grand choc de me voir mentir, et de voir mentir tous les gens qui m’entouraient. Je n’avais aucun jugement à ce propos, mais je pouvais voir les gens faire un non-sens de leur vie. Je pouvais les voir créer drame et douleur émotionnelle. Ils étaient bouleversés par des choses qui n’avaient aucune importance. Ils fabriquaient des histoires et mentaient à propos de tout. C’était quelque chose de stupéfiant, voire d’amusant, de les voir faire cela. Mais je devais m’empêcher de rire, parce que je sais qu’ils auraient pris cela personnellement. Ils ne pouvaient pas voir leurs propres histoires, parce qu’ils étaient aveugles.

Les gens ont le droit de vivre comme ils l’entendent. Mais si vous avez eu l’expérience que j’ai décrite, vous pouvez comprendre. Certainement, beaucoup de gens ont eu la même expérience, mais par peur, ils tentent de nier ce qui est arrivé. Souvent, pendant un atelier, je vois des gens aller très haut dans l’amour, et ils comprennent énormément de choses. Mais s’ils voient quelque chose dans leur histoire qu’ils n’aiment pas, ils nient toute l’expérience et prennent la fuite, en émettant beaucoup de critiques. C’est ce qui arrive tout le temps, mais c’est très bien comme ça, parce que c’est toute la vérité qu’ils peuvent manier.

Il m’a fallu beaucoup d’années pour triompher dans le conflit entre la vérité et ce qui n’est pas la vérité, parce que nos mensonges sont très séduisants. La tentation de croire aux mensonges est très forte, mais l’accident de voiture me projeta à un autre point de référence. Et maintenant, je sais qu’il y a une autre réalité, ici et maintenant, et qui est plus que la réalité de lumière et de son que nous percevons ordinairement. Il y a beaucoup de réalités, mais nous ne percevons que celle sur laquelle nous concentrons notre attention.

Je peux dire, selon mon histoire, que la réalité dont j’ai fait l’expérience est une réalité d’amour. L’énergie de l’amour est comme la lumière qui vient du soleil. La lumière du soleil se divise en des milliers de couleurs différentes, et la lumière semble différente selon la surface qui réfléchit la lumière. C’est pourquoi nous pouvons voir des couleurs différentes, des formes différentes. Pour moi, c’est la même chose qui se produit dans cette réalité de l’amour. On perçoit le reflet des émotions venant de chaque objet, et, comme pour la lumière, l’émotion de l’amour semble différente, selon ce qui reflète l’amour. Le corps émotionnel crée une entière réalité devant vos yeux, à la place de la réalité de la lumière. Bien sûr, c’est presque impossible de traduire cela en mots, mais je pense que ça vaut la peine d’essayer.

Je voudrais que vous fassiez usage de votre imagination pour essayer de comprendre ce que je dis. Je voudrais que vous imaginiez que les êtres humains ont été aveuglés pendant des milliers d’années. Nous n’avons aucune idée de l’existence de la lumière, parce que nous ne voulons tout simplement pas ouvrir les yeux. Mais nous développons nos autres sens, et nous créons une réalité entièrement virtuelle grâce au son. Comme des chauves-souris, nous reconnaissons les objets grâce à la résonance du son. Nous donnons un nom à chaque objet, chaque émotion; nous créons un langage, nous créons la connaissance, et nous communiquons grâce au son. C’est notre réalité - une réalité du son.

Alors, comment pouvez-vous expliquer une couleur ou une forme, l’aspect d’un papillon ? Comment pouvez-vous partager cette expérience avec d’autres gens s’ils n’ont jamais vu la lumière ? Comment pouvez-vous croire que la réalité du son soit la seule qui existe ? Maintenant nous pouvons comprendre pourquoi Moïse descendit de la montagne et parla de la «terre promise». Nous pouvons comprendre ce que le Christ ressentit après avoir passé quarante jours dans le désert, quand il parla du Royaume du Ciel. Ou quand le Bouddha eut son grand éveil sous l’arbre de la bodhi, et parla du Nirvâna. Quand vous ouvrez votre oeil spirituel, la première chose que vous dites, est : «Je suis avec Dieu et les anges. Je suis au ciel, au paradis, où tout est si beau. Dans la cité de Dieu, seule la beauté et la bonté existent; il n’y a pas de place pour la peur ou la souffrance. Il n’y a que beauté.» Les gens voient que vous avez changé. Ils voient votre réaction émotionnelle et savent que quelque chose de profond vous est arrivé.

Selon mon point de vue, la réalité dont j’ai fait l’expérience est tout cela ensemble; c’est tout le temps l’extase. Dans ma mythologie personnelle, j’ai fait l’expérience de la réalité de la vérité, la réalité de l’amour. C’est une réalité qui appartient à nous tous, mais, tout simplement, nous ne la voyons pas. Et si nous ne la voyons pas, c’est parce que nous sommes aveuglés par tous les mensonges pluri-millénaires. Si vous pouvez ouvrir ce que j’appelle les yeux spirituels, vous percevrez ce qui est sans les mensonges, et je peux vous assurer que votre réaction émotionnelle sera prodigieuse. Pour vous, que votre histoire soit juste un rêve, ce n’est plus une théorie. Le paradis est la vérité, mais l’histoire que vous percevez maintenant n’est pas la vérité; c’est une illusion.

Ce qui est réel est très beau, et il n’y a pas de mots pour l’expliquer, mais c’est là. Il y a toute une réalité créée par le reflet des émotions, et dans cette réalité, vous pouvez voir que ce qui est réel, c’est votre amour. Je sais que je percevais cette réalité avant d’avoir appris à parler. Je sais que, avant la voix de la connaissance, nous percevions tous cette réalité tout le temps. Ce que vous êtes est quelque chose d’incroyablement magnifique. Et pas seulement les êtres humains, mais aussi chaque animal, chaque fleur, chaque rocher, parce toutes les choses sont pareilles. Quand vous ouvrez votre oeil spirituel, vous voyez la simplicité de la vie. Je suis la vie, et vous êtes la vie. Il n’y a pas d’espace vide dans l’univers, parce que chaque chose est pleine de vie. Mais la vie est une force que vous ne pouvez voir. Vous voyez seulement les effets de la vie, le processus de la vie en action. Vous voyez une fleur s’ouvrir ou un arbre dont les feuilles changent de couleur et tombent sur le sol. Vous voyez un enfant grandir. Vous voyez un humain vieillir. Vous avez le sens du temps, mais ce n’est rien que la réaction de la vie passant à travers la matière. Vous ne vous voyez pas vous-même, mais vous voyez la manifestation de la vie dans votre corps physique. Si vous pouvez bouger votre main, vous pouvez voir la manifestation du fait d’être vivant. Si vous entendez votre voix, vous entendez la manifestation du fait d’être vivant. Vous voyez votre propre corps physique, et vous le voyiez alors que vous aviez de petites mains et une peau très fraîche, puis de grosses mains. Vous voyez tous ces changements dans votre propre corps physique, mais vous sentez encore que vous êtes la même personne.

La meilleure description de ce que vous êtes que je peux faire, c’est que vous êtes une force de vie qui transforme tout. Cette force fait mouvoir chaque atome de votre corps physique. Cette force crée chaque pensée. L’esprit de la vie s’exprime au moyen de votre corps physique, et votre corps physique peut dire : «Je suis vivant», parce que cette force de transformation vit dans chaque cellule de votre corps physique. Cette force a la conscience de percevoir une entière réalité, cette force sent toutes choses. Votre corps physique vous perçoit maintenant. Votre corps peut vous sentir, et quand votre corps vous sent, il entre en extase. Votre mental peut aussi vous sentir, et quand votre mental vous sent, vous pouvez éprouver un amour et une compassion si intenses, que vous ne pensez plus.

Je vois mon corps physique comme un miroir où la vie, grâce à la lumière, peut se voir elle-même. Je vois mon corps physique comme l’évolution de la vie. La vie évolue, elle fait pression sur la matière, elle crée. La création de l’humanité n’est pas achevée. La création de l’humanité se produit maintenant dans votre corps physique. Cette force vous aide à évoluer. Cette force vous fait percevoir, analyser, rêver, et créer une histoire au sujet de tout ce que vous percevez.

La vie est cette force que Dieu utilise pour créer toute chose à tout instant. Il n’y a pas de différence entre les humains, les chiens, les chats, les arbres. Tout est mû par la même force de vie. Selon mon point de vue, je suis cette force. Grâce à la vie, je crée mon art, je crée toute mon expérience, et c’est stupéfiant. A cause de moi, j’ai des émotions. A cause de moi, je crée de la connaissance, et je peux parler. A cause de moi, je crée l’histoire. La force qui me fait penser et raconter mon histoire, est la même force qui vous fait lire et comprendre. Il n’y a pas de différence, et cela se produit maintenant. Je me vois vieillir, et je sais qu’un jour je quitterai ce corps physique. Quand je quitterai ce corps physique, le corps retournera à la terre, mais la vie ne peut être détruite. La vie est éternelle. Il fut très clair pour moi, quand je fis ma rencontre avec la vérité, que la vie est une force unique agissant dans des milliards de directions dans la création de l’univers. Cette force ne meurt jamais. Nous sommes la vie, et la vie est immortelle. Nous sommes indestructibles, et je pense que c’est une très bonne nouvelle.

Une fois que votre œil spirituel s’est ouvert, vous voyez le rêve de votre vie, vous voyez combien de fois vous avez gaspillé votre vie en intérêts mesquins, en jouant avec ce drame insensé et insignifiant. Vous voyez comment vous vous empêchez de jouir d’une réalité d’amour, une réalité de joie.

Nous ne sommes tous qu’un seul être vivant, et nous venons du même endroit. Il n’y a aucune différence entre nous; nous sommes pareils. Vous pouvez regarder votre main, et voir qu’il y a cinq doigts. Si vous fixez votre regard sur un doigt à la fois, vous pouvez croire qu’ils sont différents, mais c’est une seule main. C’est la même chose avec l’humanité. Il y a seulement un être vivant, et cet être est une force qui meut chacun de nous, comme un doigt d’une main. Mais tous les doigts appartiennent à une seule main. Les humains partagent le même esprit; nous partageons la même âme. Il n’y a pas de différence entre moi et vous - pas à mes yeux. Je sais que je suis vous, et je n’ai aucun doute parce que je peux voir de cette façon.

Derrière votre histoire, il y a le vous véritable, et il est plein d’amour. La bonté est juste là, parce que ce que vous êtes est bonté. Vous n’avez pas à essayer d’être bon; vous devez juste cesser de prétendre être ce que vous n’êtes pas. Vous êtes un avec Dieu, et cette union est sans effort. Dieu est ici, et vous pouvez sentir la présence de Dieu. Bien sûr, si vous ne ressentez pas la présence de Dieu, vous devez vous détacher de l’histoire, parce que la seule chose qui s’interpose entre vous et Dieu, c’est votre histoire.

Quand vous vous êtes vous-même trouvé, que vous avez découvert qui vous êtes vraiment, vous ne pouvez expliquer ce que vous êtes, parce qu’il n’y a pas de mots pour le traduire. Si vous utilisez la connaissance, vous ne savez jamais qui vous êtes, mais vous savez ce que vous êtes parce que vous existez. Vous êtes vivant, et vous n’avez pas besoin de justifier votre existence.

Don Miguel Ruiz et Janet Mills
[Guy Trédaniel Editeur]

lundi 16 mars 2009

"DEMEURER DANS LA CONSCIENCE NUE"


Dans cet ouvrage (Bonheur de la méditation - Éditions Fayard), unique en son genre, Mingyour Rinpotché révèle les bienfaits réels de la méditation en établissant un pont entre les enseignements millénaires du bouddhisme et les découvertes les plus récentes de la science moderne, et plus particulièrement les neurosciences. Il n’est plus question d’opposer science et bouddhisme puisque l’une prouve les effets positifs de l’autre sur le cerveau.

Ainsi, si vous souhaitez découvrir la réalité de l’esprit et du monde par des moyens qui vous sont personnels, vous libérer des schémas de pensée qui voilent votre véritable nature et vous maintiennent dans l’illusion et la souffrance, Y. M. Rinpotché saura vous guider de façon utile et, surtout, rendre les méthodes de méditation accessibles. Grâce à de nombreux exemples, il vous dévoilera en effet que de simples exercices quotidiens de méditation (au bureau, dans le métro ou dans la rue) et de courte durée (un quart d’heure par jour), consistant à laisser aller et venir vos pensées sans y attacher d’importance mais sans les rejeter non plus, peuvent changer votre vision du monde et répondre à vos préoccupations essentielles.

Extrait de la préface de Matthieu Ricard :

Mingyour Rinpotché occupe une place unique dans le dialogue et la coopération entre science et bouddhisme, qui ont pris un essor tout particulier durant la dernière décennie. Bien que son père, maître tibétain renommé, lui ait initialement conseillé d'entreprendre des études philosophiques, à l'âge de treize ans Mingyour Rinpotché décida d'effectuer deux longues retraites contemplatives qui durèrent sept ans. Lors des voyages qu'il fit par la suite de par le monde, il conçut un profond intérêt pour les sciences modernes, et tout particulièrement pour les neurosciences et la physique quantique. Les neurosciences ont pour objet l'étude empirique du phénomène de la conscience, des événements mentaux et des émotions, autant de sujets sur lesquels le bouddhisme se penche depuis 2500 ans. La mécanique quantique, par des méthodes qui lui sont propres, aboutit à une description de la réalité très proche de celle du bouddhisme, selon laquelle le monde des phénomènes est un ensemble de relations, d'événements interdépendants et impermanents, et non une collection d'entités autonomes douées d'existence propre. Mingyour Rinpotché rejoint la démarche du XIVe Dalaï-lama, dont la curiosité pour les découvertes de la science et l'intérêt pour la démarche scientifique elle-même ont conduit à la création de l'institut Mind and Life par le regretté spécialiste des sciences cognitives Francisco Varela et l'avocat Adam Engle. Cet institut réunit autour du Dalaï-lama des scientifiques de haut niveau et organise depuis 1985 une série de rencontres passionnantes. De même que le Dalaï-lama, Mingyour Rinpotché considère le bouddhisme comme étant, avant tout, une science de l'esprit. Cela n'a rien de surprenant, puisque les textes bouddhistes insistent particulièrement sur le fait que toutes les pratiques spirituelles, mentales, physiques ou verbales visent directement ou indirectement à transformer l'esprit. Cependant, comme l'écrit Mingyour Rinpotché, «l'une des principales difficultés que l'on rencontre en essayant d'examiner son esprit est la conviction profonde et souvent inconsciente que l'on est comme on est, et que l'on n'y peut rien changer. J'ai moi-même éprouvé ce sentiment de pessimisme inutile dans mon enfance, et je l'ai constaté très souvent chez les autres au cours de mes voyages dans le monde. Sans même que nous en soyons conscients, l'idée que notre esprit ne peut pas changer empêche d'emblée toute tentative de changement». L'état que nous considérons généralement comme «normal» n'est qu'un point de départ, et non le but que nous devons nous fixer. Notre existence vaut mieux que cela ! Il est possible de parvenir peu à peu à une manière d'être «optimale». Pour ce faire, l'introspection bouddhiste a recours à deux méthodes : l'une analytique, l'autre contemplative. L'analyse consiste à examiner la nature de la réalité, laquelle est essentiellement interdépendante et impermanente, et à évaluer honnêtement les tenants et les aboutissants de nos souffrances et de celles que nous faisons subir aux autres. L'approche contemplative consiste à tourner son attention vers l'intérieur et à observer, derrière le voile des pensées et des concepts, la nature de la «conscience originelle» qui sous-tend toute pensée et permet leur formation. Cette faculté fondamentale de «connaître», que l'on peut appeler «conscience pure», existe en l'absence de constructions mentales et d'objets de pensée.

Comme l'explique Mingyour Rinpotché, «le véritable but de la méditation est de demeurer dans la conscience nue, quoi qu'il se passe ou ne se passe pas dans l'esprit. Peu importe ce qui se présente à vous, restez simplement ouvert et présent à ce phénomène, puis laissez-le disparaître. Si rien ne se produit, ou si les pensées s'évanouissent avant que nous les ayez remarquées, demeurez simplement dans cette clarté naturelle.»

Mingyour Rinpotché

http://eveilimpersonnel.blogspot.com/

mercredi 4 mars 2009

"ENTRETIEN AVEC TAISEN DESHIMARU"


Le mot japonais « zen » et le mot chinois « ch’an » qui définissent des écoles du bouddhisme, viennent du sanscrit dhyana et signifient « méditation ». La saveur du zen se confond donc avec l’esprit de la méditation assise préconisée par le Bouddha. Tous les grands maîtres de cette tradition ont toujours prétendu que les êtres humains se devaient de guérir, de pacifier leur propre esprit et que, dans cette démarche-là, se trouvait la solution des maux de l’humanité.


Dans cet entretien effectué peu avant sa mort en 1982, le grand maître zen nous parle de la méditation comme voie pour équilibrer notre entité psychosomatique aux prises avec les pollutions extérieures et intérieures. Ce mondo privé (questions-réponses) eut lieu un soir dans son appartement. Nous avons tenu à garder, dans la traduction de son anglais, toute la saveur abrupte de ce qu’il appellait son « zenglish ».

Nouvelles Clés : Quel est l’acte qui importe le plus dans le zen ?

Maître Taïsen Deshimaru : La posture. C’est la posture de méditation qui est la plus importante. Le zazen.

N. C. : Pourtant, il est dit que le zen n’a rien à voir avec la position couchée, assise ou debout ?

T. D. : Oui, l’esprit du zen transcende toutes les catégories. Mais on dit aussi que le zen, c’est zazen, que la posture elle-même est satori, éveil.

N. C. : Pouvez-vous expliquer cela ?

T. D. : Nous sommes sans cesse en train de courir, de penser, d’errer à la recherche de quelque chose.

Se mettre dans la posture, faire zazen, permet d’arrêter le mouvement, de stopper le processus de fuite en avant, ce processus qui fait que l’on se retrouve à l’heure de sa mort en ayant gâché sa vie dans l’illusion de la vivre.

N. C. : Le zen, c’est donc l’arrêt du geste ?

T. D. : Avant tout il faut arrêter les habitudes, stopper le déroulement du karma, cet enchaînements des causes et des effets dans notre vie quotidienne, le laisser filer loin de nous comme des nuages filent au-dessus de la montagne sans jamais l’emprisonner. Une partie du malheur de l’humanité vient du fait que les gens ne savent pas se libérer de l’emprise de leur karma, de l’attachement à leur histoire personnelle.

N. C. : Mais le karma, c’est aussi la famille, le enfants, les amis, le travail. On ne peut abandonner tout cela...

T. D. : Il ne s’agit pas d’abandonner mais de lâcher prise... Quand on dit que les moines doivent abandonner leur famille cela ne veut pas dire qu’ils doivent la laisser mourir de faim. Non. Il s’agit en fait de ne plus être attaché à l’esprit des choses, d’avoir une certaine distance par rapport aux émotions qu’elles suscitent. La compassion n’est pas sentimentalisme geignard, mesquin et confortable mais vrai amour qui aide. Et puis le karma est à l’oeuvre dans notre cerveau : karma du passé, du présent et du futur s’y mélangent, donnent une vraie soupe nauséabonde ! Vous connaissez l’histoire de la vieille vendeuse de gâteaux qui dit au jeune moine qui veut lui en acheter un : « Avec quel esprit allez-vous manger ce gâteau ? Avec l’esprit du passé, du présent ou du futur ? » Le jeune moine s’enfuit car il est trop sot pour répondre ! Le karma est aussi créé par le trop-plein de pensées, de désirs, de rêves qui s’agitent dans nos têtes. La plupart des gens font ainsi plus de sexe avec leur tête qu’avec leur bol ou leur bâton ! (rire tonitruant).

La posture immobile permet de couper le karma : Je dis toujours : Laissez passer les pensées comme les nuages dans le ciel, laissez passer, passer, passer... Il faut épuiser le trop-plein de pensées, alors le cerveau peut recevoir de nouvelles informations. Une bouteille pleine ne peut plus rien contenir ; une bouteille vide, oui. Mais pour bien laisser passer, il faut se concentrer sur la posture de méditation : dos droit, bassin basculé, nuque droite, pouces qui ne doivent faire ni montagne ni vallée, yeux mi-clos, se concentrer sur l’expiration la plus longue possible jusque dans le hara, le kikai tanden, l’océan de l’énergie qui se situe dans l’abdomen. Vos postures ne doivent pas être comme des bouteilles de bières éventées ! Elles doivent être fortes, riches, belles, alors l’harmonie en vous, la sagesse apparaît. La vraie sagesse se trouve dans l’effort de l’immobilité. L’effort juste est le plus important.

N. C. : Quelle différence y a-t-il entre le raja yoga et le zazen ? C’estfinalement toujours de la méditation, jambes croisées en lotus ou demi-lotus !

T. D. : La différence ? C’est le coussin ! (rire). Ce n’est pas une plaisanterie. C’est le zafu, le coussin rond que l’on met sous ses fesses ! Ce simple coussin permet d’équilibrer complètement la posture, de l’ancrer dans le sol, les deux genoux touchent la terre, le coussin donne tout son sens à la beauté de l’assise. Essayez de croiser les jambes en lotus sans coussin et vous verrez la différence. Il y a toujours un genou qui se soulève, même légèrement, et toute la posture n’est pas aussi belle. Ni aussi efficace.

N. C. : Oui. Cette invention du coussin remonte d’ailleurs au Bouddha qui demanda un jour à un paysan qui fauchait son champ de lui couper de l’herbe sala, une herbe très souple, pour s’en confectionner un siège permettant d’équilibrer l’assise.

T. D. : Vrai. Vrai (True. True). Bouddha a trouvé la voie du milieu. Il avait vécu une vie de prince trop molle, puis une vie d’ascète trop exacerbée, il comprit que seul un juste équilibre permettait de trouver sa vérité propre. Ce n’était pas un hystérique comme beaucoup de spiritualistes !

N. C. : Un instrument de musique doit être justement accordé pour faire de la musique, l’histoire estfameuse...

T. D. : Oui. Et notre corps est comme un instrument de musique qu’il faut savoir accorder pour bien jouer la vie. Pour apprendre à « négocier la Voie », dit-on dans le zen.

N. C. : Quels sont les grands reproches que vous faites à nos contemporains ?

T. D. : D’être trop faibles (too weak).

La posture de méditation peut les rendre forts. C’est la civilisation qui les rend faibles, il y a trop de tout, trop à manger, trop de bruit, trop de publicité, trop d’images, trop de sexe ; trop, trop. Tout le monde est intoxiqué, hystérique, la voie naturelle est oubliée...

N. C. : Comment voyez-vous l’avenir ?

T. D. : Beaucoup de destructions, toujours davantage de pollutions. L’espèce humaine ne pourra se sauver que par la sagesse. La sagesse doit s’élever de l’humanité.

N. C. : Le simple fait de pratiquer zazen peut- il aider à réaliser cela ?

T. D. : Sur le plan personnel, certainement. Sur le plan collectif, le grain de sable de la sagesse peut enrayer la machine emballée. Peut- être... (Maybe...) Il faut le croire, fortement (strongly), il faut pratiquer, fortement. Une posture juste influence le monde entier... (silence) ...comme un sourire influence tout le monde autour de vous. Il y a une grande différence entre les réactions suscitées par un sourire ou celles déclenchées par une insulte. Faire gassho (saluer les mains jointes) est mieux que dresser le poing ! Et une main ouverte saisit plus que qu’un poing fermé...

N. C. : Vous êtes donc confiant ?

T. D. : A la fin (at to the last) toutes les bulles d’air à la surface d’un cours d’eau font « plop » et reviennent se fondre à ce cours d’eau. Alors... ce n’est pas la peine de se poser trop de questions : comment va finir l’humanité, comment vais-je mourir, combien de temps mes enfants vont-ils vivre, comment vais-je survivre, quand est-ce que je vais rencontrer la femme de ma vie, quand est-ce qu’un homme va coucher avec moi... Quand, comment, pourquoi, on se torture sans cesse avec des questions inutiles. L’important est l’action : ici et maintenant, agir. La réponse aux questions vient toujours assez vite. La vie est comme une ligne faite de points. Chaque instant est un point. Plus chaque instant est vécu fort, plus les points, et donc la ligne, sont forts. Il faut tracer sa vie, fortement. La posture de méditation aide, c’est tout. Elle aide à guérir le corps et l’esprit.

N. C. : Vous dites aussi souvent que faire zazen, c’est entrer dans son cercueil. Qu’ est-ce que cela veut dire ?

T. D. : C’est votre koan ! (rire tonitruant).

N. C. : Je peux y répondre ?

T. D. : Certainement.

N. C. : Voilà. Dans la posture on retrouve un état qui existe avant notre naissance et après notre mort. On ressent un vide qui préexiste à notre existence. Si on devient vide (ku) on rejoint l’énergie primordiale (ki). C’est ça ?

T. D. : Comme vous voulez ! N’oubliez jamais cette phrase de l’Hannya Haramita Shingyo(le sutra de la Grande Sagesse que l’on chante souvent dans les dojos zen, à la fin des zazen du matin) :

Ku soku ze shiki

Shiki soku ze ku

Le vide crée le phénomène

Le phénomène créé le vide.

Il faut voir au-delà de la dualité. Au-delà du par-delà...

N. C. : Sensei, vous dites souvent que les gens sont trop égoïstes. Comment remédier à cela ?

T. D. : Par la pratique de la méditation, par le zazen, les bonnos (illusions, travers, défauts) décroissent naturellement, inconsciemment, automatiquement. Regardez-vous : avant, vous ne pensiez qu’à vous, maintenant vous faites des livres pour les autres (rires) ! Les Occidentaux ont cru jusqu’à maintenant que le zen est une philosophie intellectuelle. Or, au contraire, pratiquer le zen consiste à penser avec son corps, c’est unir le corps et l’esprit, c’est une sagesse du corps. Ch’an, zen, dhyana, zazen, tous ces mots définissent la méditation qui est pratique de tout le corps. Ainsi peut-on équilibrer les deux cerveaux. L’être moderne est gravement malade : la pratique de la méditation peut l’aider à devenir sain. Ce n’est pas la peine de s’enfuir dans une grotte dans la montagne pour cela. La posture elle-même est la grotte et la montagne. Où que vous soyez existe la vraie liberté, celle du poisson dans l’eau ou de l’oiseau dans le ciel. Mais on peut amener un cheval à la rivière, c’est à lui de boire... Transformer son karma reste l’affaire de chacun !

À lire :

- Sur les pas du Bouddha, ouvrage qui retrace la vie, la philosophie du Bouddha et le voyage que Marc de Smedt fit sur leurs traces en Inde, éd. Albin Michel, coll. Espaces Libres Poche.
- Zen et psychosomatique, par maître Deshimaru et le professeur Ikemi, éd. Albin Michel.
- Les autres ouvrages majeurs de maître Deshimaru : La pratique du zen, Zen et Arts martiaux, Zen et vie quotidienne, L’anneau de la voie..., se trouvent en poche chez Albin Michel dans la collection Spiritualités Vivantes.

Propos recueillis par Marc de Smedt

http://www.nouvellescles.com/article.php3?id_article=518