dimanche 30 août 2009

"L'EGO,L'AME ET LE SOI, D'APRES JUNG"


Par Laura Winckler et Frédéric Blanchard

L’ego

L’ego est le siège de la conscience : c’est lui qui permet de se sentir séparé de la mère et du reste du monde et d’être une entité pouvant à son tour affecter le monde.

L’ego adulte développe des capacités visant à satisfaire divers besoins, physiologiques, de sécurité ou d’insertion sociale.


L’enfant jeune est faible, vulnérable et dépendant de ses parents et de son environnement. A ce stade, son ego n’est pas encore formé. Par la suite, ce dernier commence à remplacer les parents et acquiert des fonctions protectrices. Sa deuxième tâche consistera à relier l’individu au monde environnant, lui apprenant à survivre, puis à s’insérer socialement et à réussir dans la vie. Certaines épreuves permettront de fortifier l’ego. Notre ego ou notre moi est la partie consciente de nous-mêmes qui se différencie de l’océan des potentialités de l’inconscient collectif. Pour s’affirmer il devra rompre, d’une certaine façon, avec le milieu d’où il est issu. L’ego est un outil, l’image de notre moi, notre persona, un masque. Cependant, une fois complètement développé, il doit être vidé de son contenu afin de devenir l’enveloppe qui héberge et porte l’âme (l’acteur), sans que la rencontre entre ces deux dimensions soit vécue comme un drame. Cela suppose un ego bien développé et correctement formé, conscient de ses limites et de ses qualités, tel que l’acquiert le Héros pendant la préparation de son périple : l’optimisme de l’innocent, l’entraide de l’Orphelin, le courage du Guerrier, la générosité du Bienfaiteur.

Cette personnalité bien intégrée en elle-même et dans son environnement sentira alors l’appel de l’âme, d’une force qui la conduira vers la quête de son destin. C’est seulement à ce moment-là que peut commencer la traversée.

L’âme

L’âme, pour se réaliser sans encombre, a besoin de la coopération et de la présence de l’ego qui a du bon sens et les pieds sur terre. Disons que Don Quichotte se fera accompagner de Sancho Pança pour partir en quête du trésor ou des mystères de la vie.

Pour Jung, l’âme symbolise souvent notre psyché ou le point par lequel s’expriment les archétypes de l’inconscient collectif. Elle est la partie de notre psyché qui nous connecte avec ce qui est éternel et procure la sensation de sens et de valeur à notre vie.

Nous commençons à nous occuper de l’âme lorsque nous ressentons le besoin de comprendre le sens de la vie, le sens de notre vie, que nous cherchons à nous relier au cosmos.
Elle rend possible le sens de l’unité. Malheureusement, dans nos sociétés où on la refuse, elle est contrainte de s’exprimer à travers les fissures ou les failles de la vie, dans certains moments de trouble ou de souffrance, ou bien lorsque nous traversons les grandes crises de l’existence : les transitions entre l’enfance et l’adolescence, entre l’adolescence et l’âge adulte, lors de l’entrée dans la maturité puis dans la vieillesse, enfin face à la mort.
Dans ces moments liminaux, donc de passage, où il n’y a plus ni certitudes, ni sécurité, l’âme parvient alors à s’exprimer, dans la souffrance parfois ou à travers des comportements négatifs et autodestructeurs.

De nombreuses sociétés traditionnelles ont élaboré des mythes et des rites, notamment d’initiation, pour aider à ces mûes de l’âme. Le but de l’initiation étant essentiellement de comprendre avec le langage de l’âme, par le vécu, ce que signifient les expériences de la vie.
La traversée du Héros est une initiation aux réalités du périple de l’âme. Elle nous demande de contrôler notre vie pour ensuite nous en détacher, abandonner la peur du vide, de la mort, et être prêts à expérimenter la totalité de la vie. Pour cela, il nous faut élargir l’étroit champ de vision de l’ego, nous détacher des sentiments, de la quête mais tôt ou tard il nous faut atteindre les mystères centraux de la vie et apprendre la mort, la passion, la naissance, la création, en tant que mystères.

Sans l’âme, nous sommes pareils à des automates : nous effectuons tous les mouvements possibles, mais ils manquent de sens. L’initiation nous offre l’opportunité d’expérimenter le sens de la vie et, grâce à elle, d’apprendre la quête de dépassement du Chercheur, le détachement du Destructeur, l’engagement de l’Amant et, finalement, l’union avec notre propre âme qui permet la naissance d’un nouveau Soi, le Créateur.

Le Soi

Le Soi est l’expression de l’intégrité, le point final du processus d’individuation. La traversée est achevée, le trésor retrouvé, et nous sommes de retour dans le royaume qui se transformera en fonction d’un nouveau principe ordonnateur.

L’essence du Soi est le paradoxe, car il nous permet de vivre ce qui est singulier et unique en nous et, en même temps, met notre ego en relation avec la dimension transpersonnelle. A son niveau, le vie n’est plus perçue comme une lutte mais comme une source d’abondance. Nous devenons les rois et les reines de nos propres domaines et si nous sommes fidèles à notre Etre intérieur (le Soi), nous faisons fleurir la terre desséchée. Le soi est donc profondément blessé si l’ego et l’âme sont déconnectés. Sa réalisation demandez d’assumer pleinement nos responsabilités et de les intégrer à notre conscience.

Si l’éveil de l’ego fait surgir le particulier de l’universel, le multiple de l’unité, le retour au Soi permet de réintégrer le particulier à l’universel, le multiple à l’Un. Par la force de restitution et le lien créé par l’homme avec Dieu et toute la création, l’être refait en lui l’unité perdue.

Tout grand Gouvernant a besoin d’un Magicien pour prédire le futur, pour soigner les malades, pour créer des rituels qui relient les hommes au cosmos et maintiennent la liaison permanente avec la dimension spirituelle de la vie. Il peut aussi avoir à ses côtés un Sage qui lui donne des conseils objectifs et le sort de sa subjectivité. Et aussi un Bouffon, capable de réjouir le château et de dire au Gouvernant de terribles vérités. Le Gouvernant le Mage, le Sage et le Bouffon s’aident mutuellement et contribuent, grâce à leurs talents, à produire un royaume salutaire, prospère et joyeux. Ils symbolisent les quatre aspects du Soi intégré.

L’ombre

Nous nous savons tous porteurs d’une ombre, sorte de personnage dont la silhouette se compose de tout ce que nous refoulons et qui ne cadre pas avec l’apparence sociale que nous voulons nous donner. Cette ombre est le dragon qui se nourrit, dans l’homme mûr et bien sous tous les rapports, de tout ce que son moi refuse à intégrer consciemment. C’est le premier aspect de chaque archétype à reconnaître si l’on veut avancer dans le processus d’individuation.

La difficulté réside dans le fait que l’ombre est généralement repoussante mais qu’elle porte en elle la régénération de la vie consciente. Elle repousse et fascine, et se laisse ainsi facilement projeter sur autrui pour éviter d’avoir à reconnaître qu’elle fait partie de nous-mêmes.
L’ombre peut se manifester par des omissions (actes manqués …) ou par des actes impulsifs, commis par inadvertance. Elle est avant tout personnelle, mais s’enracine aussi, comme l’illustre image quasi universelle du diable, dans l’inconscient collectif. Tout peuple a son diable, trop souvent projeté sur ceux qu’il ne parvient pas à intégrer dans sa vision du monde.

L’ombre pose un problème moral à l’individu car elle peut contenir aussi bien des qualités que des défauts. La morale commune, ou celle qui a baigné l’individu dans sa jeunesse, est le plus souvent incompétente pour juger de la vraie nature de l’ombre : constructive ou destructive ? Plus qu’une morale conventionnelle et sociale qui rassure par ces concepts arrêtés de ce qui est bien ou mal, c’est d’une philosophie du risque, du combat intérieur et de la responsabilité des choix qu’il implique, que l’homme a besoin dans cette aventure. Il ne dépend que de lui que l’ombre soit son amie ou son ennemie. Elle ne devient hostile que si elle est ignorée ou traitée avec incompréhension ; elle ne peut se transmuter que si le moi accepte l’aide du Grand Homme : du Soi. La quête du Soi est à l’image de celle du Grâal ou de toute quête initiatique de l’immortalité au sens spirituel du terme.

S’engager dans cette voie, c’est donc déjà accepter le fait qu’une crise n’est pas une fatalité insurmontable mais l’opportunité d’une nouvelle naissance par un dialogue constructif avec l’ombre : de là peuvent naître de nouveaux comportements, plus ouverts, plus riches. Une connaissance approfondie des mythes peut être d’une grande utilité car ils nous parlent, notamment des plus archaïques, un langage pas encore contaminé par une morale trop rationnelle et peuvent ainsi éveiller des images positives de dialogue avec l’ombre.


lundi 10 août 2009

"DES ETATS DEPRESSIFS A L'OUVERTURE DE CONSCIENCE"


Il existe, dans le monde, des phénomènes auxquels on est parfois confronté, des situations proches des rites de passage sans qu’on puisse parfois les identifier comme tels, qui peuvent représenter des occasions d’ouverture de la conscience. Les crises, les états dépressifs que nous traversons sont souvent une amorce d’ouverture vers la lumière.

Je me suis replongé dans ce livre de Christina et Stanislav Grof, les fondateurs de la psychologie transpersonnelle, qui s’intitule À la recherche de soi, paru aux Éditions du Rocher dans la collection " l’Esprit et la Matière ".En voici quelques lignes.

* Crises : des cris d’alarme

" Les crises surgissent lorsque l’évolution psychologique du sujet, sa maturation, se fait non pas d’une manière lente et harmonieuse, mais brutalement. Toute croissance est marquée par des phases transitoires de confusion et de questionnement et, dans des cas extrêmes, par des périodes de chaos et de désespoir. […]

" Depuis des décennies, les cris d’alarme se multiplient, dénonçant les dangers qui menacent notre civilisation. Nous avons aujourd’hui le douteux privilège d’être les premiers hommes de l’histoire à posséder les moyens d’un suicide collectif, et, ce qui est pire, d’une extermination de toutes les autres formes de vie. Nous devons faire face à une crise majeure affectant aussi bien notre système de pensée que notre conscience. "

Le préfacier rappelle un peu plus loin, qu’après la démarche personnelle qu’il a faite, il est arrivé à la conclusion que " le monde dans lequel nous vivons n’est que le reflet tangible de l’état de conscience dans lequel nous nous trouvons ".

* De développement spirituel

Dans cet ouvrage, il est question de développement spirituel, mais on l’aborde d’une façon très particulière : c’est à partir des blocages, des difficultés, des épreuves, des tensions et des extensions qu’on peut éprouver – qu’ils appellent " spirituelles " – que se fait le cheminement. C’est la traduction un peu discutable de deux formules employées en anglais : Spiritual Emergency – lorsqu’il y a crise, il y a urgence – et Spiritual Emergence – lorsque la conscience sort un peu de la crise et du chaos pour accéder à un niveau plus harmonieux.

* Stanislav Grof

Stanislasv Grof est un personnage très intéressant qui a été, à un moment, chargé d’une étude sur les applications de la thérapie psychédélique à l’Institut des recherches psychiatriques de Prague. En 1967, il est transféré aux États-Unis à la John Hopkins University qui lui a proposé un poste de recherche. Au centre psychiatrique du Maryland, son équipe a exploré systématiquement les effets de la thérapie psychédélique, notamment du LSD, chez les névropathes, les alcooliques, les drogués et les cancéreux au stade terminal.

Puis, à la fin des années soixante, il se joignait à un petit groupe de spécialistes qui provenait alors d’horizons divers – médecins, anthropologues, physiciens, biologistes, etc. – partageant les mêmes convictions que lui, et qui estimaient opportun de lancer un mouvement en psychologie qui concentrerait ces recherches sur la conscience et les dimensions spirituelles de la psyché qui ne sont prises en compte dans les autres écoles de psychologie. La psychologie humaniste est la seule qui ouvre un peu la porte à la dimension spirituelle. Les autres écoles sont beaucoup plus terre à terre et ne tiennent pas compte de ces phénomènes qui font l’objet, en somme, de l’étude et des témoignages de la psychologie transpersonnelle, créée par ce groupe de professionnels dont Christina et Stanislav Grof font partie.

* La perspective transpersonnelle

Pour nous situer, les auteurs expliquent que " La perspective transpersonnelle dépasse le cadre étroit de la psychiatrie, de la psychologie et de la psychothérapie. Les découvertes révolutionnaires en physique quantique […], la recherche sur les potentialités du cerveau, l’holographie, la thanatologie, l’étude comparative des religions, les expériences d’élargissement de la conscience vécues par un nombre de plus en plus important d’Occidentaux, tout cela semble confirmer les enseignements des grandes traditions spirituelles de l’Antiquité et de l’Orient, ainsi que les témoignages des anthropologues sur le chamanisme. […] Le mouvement transpersonnel fut créé afin de prendre en compte tous les paramètres relatifs aux états subtils de la matière et aux états supérieurs de conscience. "

* Tensions spirituelles et extensions spirituelles

Dans un premier temps, on parle de tensions spirituelles par opposition à l’extension spirituelle. Les tensions spirituelles sont, bien souvent, le résultat d’états dépressifs et désespérés qui sont provoqués par des situations difficiles. Ça peut être suite à une maladie, un accident, une opération, un effort intense, un manque de sommeil prolongé, etc. Il y aussi le stress physique et affectif. Mais…

" Il peut arriver qu’une transformation psycho-spirituelle trouve son origine dans une union sexuelle intense d’une force affective irrésistible, comme le font remarquer les auteurs. La sexualité a également des dimensions transpersonnelles importantes. "

À un moment, les auteurs font référence au cas de la consommation sauvage et incontrôlée de drogues psychédéliques où nombreux sont ceux qui sont passés par une ouverture spirituelle et pour certains, par une tension spirituelle également. Comme dans les bad trips qui pouvaient avoir une signification au plan de la croissance personnelle, mais à quel prix… " Les crises de transformation peuvent également trouver leur origine dans des circonstances moins spectaculaires, telles que la méditation assise ou en mouvement, la contemplation et la prière ", écrivent les Grof.


Qu’est-ce au juste que l’extension spirituelle? Il faut comprendre d’abord qu’il s’agit de termes qui sont employés dans le contexte d’un exposé qui vise à définir et à expliquer la psychologie Transpersonnelle. Alors, il est certain qu’on va parler de l’énergie créatrice, de l’intelligence cosmique qui se retrouve toute entière chez chacun d’entre nous, mais pas toujours éveillée. Pour simplifier, je vous dirai que l’extension spirituelle se produit quand on accède tout à coup à un niveau de conscience passager, avec l’espoir qu’il puisse subsister ou résister au chaos de la vie quotidienne, ce qui nous vaut une plus grande ouverture de la conscience.

Voici, résumée en un paragraphe, une bonne définition de l’extension spirituelle :

" En termes très généraux, expliquent les auteurs, l’extension spirituelle peut être définie comme l’évolution d’un individu vers un mode de vie plus épanoui qui se signale par un mieux-être émotionnel et psychosomatique, une plus grande liberté dans les choix personnels et un sens approfondi de ses relations avec les autres, avec la nature et avec le cosmos. Une part importante de ce développement réside dans la conscience accrue de la dimension spirituelle tant dans la vie d’un être que dans l’ordre universel. "

Quand on en prend conscience dans ces termes, il est possible de passer d’une tension à une extension, si je puis dire. Ainsi, une crise que l’on percevait au départ comme très négative, douloureuse, peut aboutir à quelque chose d’autre, c’est-à-dire devenir une expérience d’extension spirituelle, plutôt que rester simplement une tension spirituelle.

Stanislav et Christina GROF
"À la recherche de soi"(Ed.du Rocher)